C'est sa rencontre avec "Noa Noa", carnet de voyages écrit par Paul Gauguin après son premier séjour à Tahiti en 1893, qui a donné envie à Edouard Deluc de faire un film centré sur cet artiste. Le metteur en scène confie :
"C’est un objet littéraire d’une grande poésie, un récit d'aventures, entre autre, d’un souffle romanesque assez fou. C’est une sorte de journal intime, d’une grande humanité, sur son expérience Tahitienne, qui mêle récit, impressions, pensées, questionnements politiques, questionnements artistiques, croquis, dessins et aquarelles. C’est enfin et surtout une sorte de somptueuse déclaration d’amour à Tahiti, aux Tahitiens, à son Êve Tahitienne. Je l’ai découvert lors de mes études aux Beaux-Arts, le texte est toujours resté dans ma bibliothèque comme le fantôme d'un film possible. En 2012, je tombe sur « L'envoûté » de Somerset Maughan (1919), un roman inspiré par la vie de Gauguin, un livre à la puissance romanesque tout aussi folle, tout s’est réactivé, je me suis replongé dans« Noa Noa », puis dans « Oviri », dans « Avant-Après », dans tous les écrits de Gauguin, et dans les correspondances qu’il eues avec sa femme, ses amis… toute cette matière dessinait les contours d’un personnage visionnaire, inspirant et d’une insolente modernité, tout en la questionnant en permanence."
Edouard Deluc a cherché à adapter librement "Noa Noa", c'est à dire que tout ce que le film donne à voir est vrai, mais parfois romancé. Le réalisateur développe : "Tous les personnages du film ont existé dans l’environnement tout proche de Gauguin, mais nous avons creusés des pistes qui faisaient d’avantage écho en moi, nous devions articuler un récit, travailler les enjeux, ce qui n’était pas forcément le cas dans « Noa Noa ». La « vérité historique », les faits qui semblent avoir résisté au temps, aux biographes, forment une matière, des repères, mais il n’y a pas de vérité absolue. En écrivant « Noa Noa », Gauguin revisite déjà les faits, sublime son aventure, édifie déjà sa propre légende. De fait, les nombreuses biographies qui lui sont consacrées et qui s’inspirent souvent de « Noa Noa » les interprètent aussi. Ma fonction de réalisateur m’autorisait à faire de même, m’y invitait même. J’ai rassemblé toutes les données, elles dessinaient une chronique de la défaite assez saisissante quand on voit qu’après avoir touché du doigt son rêve, « retourner dans la foret, vivre de calme, d’extase et d’art », Gauguin a bout de souffle est rapatrié comme artiste en déstresse…"
Deux phrases prononcées par Paul Gauguin, personnage hors-normes à la poursuite d’un rêve hédoniste, ont guidé le travail de Edouard Deluc : "Je ne suis pas ridicule, je ne puis pas l’être car je suis deux choses qui ne le sont jamais, un enfant et un sauvage." Et "Je retournerai dans la forêt vivre de calme, d’extase et d’art."
Davantage qu'un biopic, Edouard Deluc a cherché à faire un film d'aventure mais aussi un western, comme par exemple dans les scènes de ce voyage que Paul Gauguin fait à cheval dans l’intérieur de l’île ou celle où il arrive de nuit dans le village de Tehura au son des tambours.
Côté références l'ayant guidé dans le processus de création de Gauguin – Voyage de Tahiti, Edouard Deluc cite La Captive aux yeux clairs de Howard Hawks, Duel dans le pacifique de John Boorman, Jeremiah Johnson de Sydney Pollack, mais aussi Still The Water de la Japonaise Naomi Kawase où la nature, l’amour, la mort, la transcendance jouent un rôle crucial, ainsi que La Leçon de piano de la Néo-Zélandaise Jane Campion pour la nécessité absolue de créer.
Dans la seule interview que Paul Gauguin ait accordée en 1890 au Figaro, l'artiste est décrit comme un homme robuste, aux yeux clairs et au parler franc. C'est dans cette optique que Vincent Cassel, qui est en plus lui aussi curieux des autres et agité par le goût du lointain, a été choisi. "Comme Gauguin, il s’affranchit des conventions, se montre entier, quitte à déplaire", précise Edouard Deluc.
En amont du tournage, Vincent Cassel a bien sûr lu "Noa Noa" et s'est aussi rendu au Musée d’Orsay, en compagnie d'Edouard Deluc, pour voir les toiles et les sculptures du peintre. Le comédien habitué aux rôles physiques a aussi dû maigrir, puisque Gauguin se nourrissait de racines d’arbres à pain... Enfin, Cassel a pris des cours de peinture et de sculpture et a réclamé de fausses dents pour restituer la décrépitude de son personnage.
Edouard Deluc a écrit le film en écoutant la bande originale que Nick Cave avait composée pour L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford d’Andrew Dominik. "Un western contemplatif, marqué par la dilatation du temps, un film remarquable à mes yeux. Tout le travail de Warren m’a toujours inspiré. Je me suis battu pour l’avoir avec nous, il n’avait pas le temps, un emploi du temps trop chargé, mais le film résistait en lui. Il n’arrivait pas à dire non, il a donc dit oui, on a pris le temps qu’il fallait. Au final, sa musique révèle l’inquiétude métaphysique, les chants de l’âme, les paysages intérieurs comme les échos telluriques que l’on retrouve dans le travail de Gauguin", raconte le réalisateur.
Paul Gauguin a plusieurs fois été joué par un acteur dans un film. C'est le cas de La Vie passionnée de Vincent van Gogh (1956) de Vincente Minnelli avec Anthony Quinn dans le rôle de Gauguin, "Gauguin, le loup dans le soleil" (1986) d'Henning Carlsen avec Donald Sutherland, Vincent et Théo (1990) de Robert Altman avec Wladimir Yordanoff ou encore "Gauguin" (2003) de Mario Andreacchio avec Kiefer Sutherland.
En ce qui concerne l'esthétique du film, Edouard Deluc avait comme référence principale L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. "De mon côté, je lui ai montré les photos d’un reportage du « New York Times » des années 30 sur l’Amérique noire : il utilisait un traitement de la couleur que j’aimais bien", précise le directeur de la photographie Pierre Cottereau.
Au sujet des nombreuses scènes de nuit, Edouard Deluc et Pierre Cottereau ont cherché à les tourner le plus légèrement possible. Le directeur de la photographie se souvient : "Pour beaucoup d’intérieurs, j’ai utilisé la bougie comme seule source de lumière et effectué un travail technique pour obtenir la couleur que je désirais. Gauguin était un homme qui n’avait pas grand-chose dans sa besace. Le minimum que nous pouvions faire, c’était sans doute de lui rendre justice, nous aussi, avec très peu de choses dans la nôtre."
Tuheï Adams, 17 ans, incarne Tehura. Edouard Deluc se rappelle comment il a trouvé cette jeune comédienne : "Tuhei est si je puis dire un cadeau du ciel, trouvée par Julie Navarro, la directrice de casting. Elle est apparue dès le deuxième jour du casting. Dès les premiers essais, elle dégageait un mélange de grâce et d'intensité folles. Il y avait aussi en elle quelque chose qui émane des toiles de Gauguin et exprime à sa façon, un peu de l'histoire Tahitienne: le feu comme l'ennui, l'insolence, l'aspect immuable du temps qui passe, une façon d'être au présent, et pourtant chargé d’une mélancolie sourde. J'espère que le film restitue un peu de la bonté, de la beauté et de la dignité des Tahitiens. Rencontrer les Tahitiens, vraiment, est une expérience unique, silencieuse et hors du temps. Et c’est quand même le cœur du sujet de « Noa Noa », leur rendre grâce était la moindre des choses, et cinématographiquement, un plaisir infini."
Le cinéaste Edouard Deluc a choisi, dans son traitement du personnage de Gauguin, de ne pas dépeindre le côté sulfureux et polémique du personnage. En effet, l'artiste avait en réalité une sexualité débridée bien qu'il soit atteint de la syphilis. Lors de son exil en Polynésie, Gauguin a couché avec de nombreuses jeunes femmes, pas seulement celle avec laquelle il s'est marié, Tehura. À noter que l'actrice qui incarne cette dernière dans le film est âgée de 17 ans. La vraie Tehura avait en réalité 13 ans quand elle a épousé le peintre avec l'accord de ses parents. Cette pratique, interdite en métropole, était monnaie courante dans les îles à l'époque (fin du 19ème siècle).