Au coeur de 9 Doigts se trouve une région que les personnages appellent le Nowhereland, une île en dérive, une zone qui est en déplacement constant. Pour le réalisateur, il s'agit d'évoquer "un monde qui devient sans cesse plus abstrait. Mais c’est aussi l’idée d’une zone hors des radars, ce qui correspond à une de mes vieilles lubies : un monde non répertorié."
9 Doigts est un long métrage que son réalisateur définit comme "un film de science-fiction à l’envers… Les films de science-fiction se jouent dans le vide sidéral de l’espace, on ne fait au fond que déplacer les péripéties d’aventures maritimes dans l’espace : on place des bateaux dans le vide sidéral. Là, mes personnages sont comme dans un vaisseau spatial, mais le vaisseau a été remis sur les flots." Le cinéaste puise également dans l'épopée, genre littéraire où "c’est le poème qui contient l’histoire. Je me sens plus du côté du cinéma de poésie, plutôt que du cinéma de roman." Enfin, F.J. Ossang conclut : "9 Doigts commence comme un film noir, un peu melvillien sur le principe, et ensuite il est en transformation constante : il vire au film d’aventure maritime, et puis on passe au cosmique maritime leviathanesque !"
Parmi les influences qui l'ont nourri pour 9 Doigts, F.J. Ossang cite côté littérature Au coeur des ténèbres de Joseph Conrad bien qu'il l'ait relu après coup, Bunker archéologie de Paul Virilio, des lectures d'enfance comme Les Aventures d’Arthur Gordon Pym d’Edgar Poe, Le Vaisseau fantôme du capitaine Marryat ainsi que les artistes de l’avant-garde poétique : Antonin Artaud, Roger Gilbert-Lecomte, Robert Desnos et Blaise Cendrars. Côté cinéma, il évoque l'imaginaire romantique et gothique du Nosferatu de Murnau, La Maman et la putain de Jean Eustache pour la place centrale qu'y tient le dialogue, Jean-Pierre Melville, Guy Debord, Hergé et Quand la ville dort de John Huston : "C’est un chef d’oeuvre, une sublime métaphore de la « ténèbre européenne », avec une poignée de personnages qui hantent la nuit du mauvais coup où ils se perdent."
Après Le Trésor des Îles Chiennes et Dharma Guns, c’est la troisième fois que F.J. Ossang tourne aux Açores, archipel portugais qui se situe au milieu de l'Atlantique. Malgré les réticences de son producteur Paulo Branco face aux conditions extrêmes de tournage, le réalisateur tenait à y retourner : "je voulais découvrir cet endroit, qui m’évoquait une sonde métaphysique. C’est l’Atlantide de la légende… Et c’est le centre du monde, en tout cas de notre monde : c’est la rencontre des trois plaques continentales, africaine, européenne, américaine. C’est un peu la cocotte-minute de l’Atlantique, ça explose régulièrement. Par ailleurs, les préhistoriens expliquent combien les sols déterminent les caractères. J’ai toujours été attiré par ces zones volcaniques. Le cinématographe, c’est aussi faire parler la terre !"
L'oeuvre de F.J. Ossang est traversée par la thématique de l'eau. Le réalisateur reconnaît que "C’est vrai que c’est étrange, moi qui suis né dans une région montagneuse, j’ai besoin d’eau. Un fleuve, un lac, un étang, et les mers bien sûr, et ça va tout de suite mieux. Après, sur la nature du film, c’est quelque chose qui est de toute façon intimement lié au cinéma : la pellicule, c’est un fleuve."
F.J. Ossang revient sur la difficulté qu'il a à mettre sur pied ses projets : "Pour moi, faire un film c’est toujours comme partir à la guerre, c’est d’une grande difficulté. J’ai abordé celui-ci en me disant que ce serait probablement le dernier, tant il est devenu difficile aujourd’hui de réussir à faire un cinéma artisanal comme le mien. Depuis toujours, je navigue en zone hostile. D’ailleurs celui-ci, j’ai failli ne pas réussir à le faire. Le simple fait que je tienne à le tourner sur pellicule, comme les précédents, était une difficulté."
La bande originale de 9 doigts est signée MKB Fraction Provisoire, le groupe de noise’n roll de F.J. Ossang qui a déjà composé les musiques d'autres de ses films tels que Docteur Chance et Le Trésor des îles chiennes.