Le moins qu’on puisse dire, c’est que le regard que porte sur la Russie le cinéaste ukrainien Sergeï Loznitsa est dénué de toute complaisance, de toute bienveillance. Dans une interview, lorsqu’on lui demande comment il perçoit la Russie d’aujourd’hui, il décline sa réponse de façon lapidaire avec quatre mots : « abandon, individualisme, monstruosité et bêtise ». Et, dans une autre interview, il ajoute : « …en Russie, rien n’a bougé depuis Ivan le Terrible ! Depuis toujours, les gouvernements ne respectent ni les lois ni les hommes ! ».
Ce regard, il y a sans nul doute possible de quoi le justifier, j’en suis persuadé, et c’est lui qui prévaut tout au long de ce nouveau film, un film qui trouve son origine dans une nouvelle de Dostoïevski complètement remaniée (alors qu’elle avait été beaucoup plus fidèlement adaptée par Robert Bresson en 1969). Chez Sergeï Loznitsa, la femme douce entreprend un voyage pour porter à son mari incarcéré (pour des raisons qui demeurent obscures, mais en Russie on peut se retrouver prisonnier sans véritable motif !) un colis qu’elle avait envoyé par la poste et qui lui a été retourné.
Ce voyage, c’est l’occasion, pour la femme comme pour nous les spectateurs, d’être mêlés au peuple, à une humanité de misère qui semble revenue de tout, à des hommes et des femmes qui s’accrochent comme à des bouées à ce qu’ils peuvent, leurs propres déblatérations, leurs chansons, leurs ivresses… Puis, arrivée au but de son voyage, il faut encore, pour la femme, se débrouiller avec des fonctionnaires bornés, des flics corrompus, des individus louches, etc. Rares sont les paroles ou les gestes de compassion. Dans la maison d’hôtes où la femme trouve refuge, c’est une faune invraisemblable qui tue le temps en jouant à un jeu de strip-tease.
Malheureusement, plus le film avance, plus on risque de décrocher. A force de ne voir que cette humanité de honte et de misère, on se lasse et ce d’autant plus que le réalisateur semble, en fin de compte, ne plus savoir que faire ni de son histoire ni de ses personnages. Tout ce qu’il imagine, c’est de finir le film par une sorte de pirouette onirique, cauchemardesque,
à la faveur de l’endormissement général de tous les voyageurs assis dans la salle d’attente d’une gare
. Ce qui génère une scène de rêve qui m’a semblé laborieuse et artificielle, avant de basculer dans l’horreur, dans une scène qui, même si elle se déroule dans la pénombre, est insupportable.
Dommage. Malgré son ton âpre, j’ai été tout à fait séduit par la première moitié du film avant de me lasser petit à petit, puis d’être agacé par les maladroites scènes finales. 6/10