Tramontane a été présenté en Compétition à la Semaine Internationale de la Critique du Festival de Cannes 2016.
Vatche Boulghourjian a passé sa vie au Liban et voulait faire de Tramontane le symbole de son amour pour son pays. "Ce film est le fruit de ma vie au Liban, de ma sensibilité à ses réalités quotidiennes et de mon intérêt et de mon amour profonds pour son peuple et sa culture", déclare-t-il.
Tramontane permet à Vatche Boulghourjian de revenir sur les conséquences de la Guerre civile libanaise, qui a déchiré le pays entre 1975 et 1990 et encore aujourd'hui fortement présente. "Aucun compte-rendu officiel de la guerre n’existe à ce jour au Liban. Chaque communauté, livrée à elle-même, raconte et enseigne sa propre ver - sion de la guerre, perpétuant ainsi les vieilles rancoeurs au sein des nouvelles générations. De toute évidence, la guerre n’est pas finie, elle a juste pris une autre forme", déplore le réalisateur. "L’accumulation de récits différents pour expliquer un même évé - nement a créé une véritable crise de la mémoire collective au Liban. Cette crise a fragmenté le pays et exacerbé une situation déjà très instable, où même les faits les plus élémentaires sont sujets à conflits". En mettant en scène les tourments d'un homme, le cinéaste s'intéresse en réalité à ceux du pays tout entier.
Tramontane a surtout été tourné dans des villages libanais isolés. "L’instabilité du pays a soulevé quelques problèmes de production", confie Vatche Boulghourjian. Le réalisateur ne s'en est toutefois pas laissé compter, ayant préparé le tournage avec précision : "Peu importe le sujet ou le lieu du tournage, une production n’est jamais facile. La création d’un film vient avec son lot d’embûches et nous devons l’accepter et tâcher d’y remédier. Sachant cela, la seule façon de faire face aux problèmes de production était de se préparer à tous les impré- vus possibles".
Le choix de rendre son héros aveugle est lourd de sens pour Vatche Boulghourjian : "(Cela) me permet de souligner «l’envers du miroir», et la cécité dont souffrent les gens qu’il rencontre. Alors que Rabih souffre d’un réel handicap physique depuis la guerre, ceux qu’il croise souffrent d’un handicap spirituel et psychologique qu’ils n’arrivent pas à surmonter – et qui les empêche de revenir avec lucidité et précision sur leur passé", développe le cinéaste. "Rabih «ne peut pas » voir, et ceux qui l’entourent sont «incapables» de l’introspection nécessaire pour analyser leurs traumatismes".
Pour Vatche Boulghourjian, le salut du Liban viendra notamment par la musique, qui permet de tisser un lien fort entre les communautés du pays malgré les tensions et conflits. Il y a ainsi porté une attention toute particulière dans Tramontane ; Barakat Jabbour, qui interprète le héros, est également un véritable musicien aveugle. Compositrice et superviseur musical, Cynthia Zaven raconte son travail sur le film : "Il y a deux sortes de musique dans le film: la musique originale et la musique live, qui toutes les deux incluent des chansons traditionnelles arabes que j’ai arrangées. Ces musiques sont très ancrées dans la culture du pays et le film est lui-même ancré dans ce territoire, c’était donc évident de les utiliser", décrit-elle. "La musique a été la plus grande forme d’expression dans le monde arabe durant plusieurs siècles et occupe toujours une place centrale dans cette culture. Elle est aussi l’un des rares vecteurs qui peut recréer des liens dans des régions déchirées. Le Liban a été totalement fracturé par les conflits et, ce qui peut encore nous rassembler, est le partage de cet héritage commun".