« Wind River » est le troisième volet d’une trilogie de Taylor Sheridan sur ce qu’il appelle lui-même, « les frontières américaines modernes ». Je n’ai pas vu les deux premiers films, « Sicario » et « Comencheria » mais apparemment, comme il s’agit d’une trilogie thématique, cela ne pose pas de problème en soi. Et « Wind River », sans être un chef d’œuvre du film noir, est malgré tout une très bonne surprise. C’est une très bonne surprise déjà dans sa forme car c’est particulièrement bien filmé, la photographie est magnifique et les somptueux paysages du Wyoming en hiver rendent magnifiquement bien à l’écran. Le Wyoming en hiver, c’est l’Ouest sauvage américain comme on l’imagine, noyé sous la neige, hérissé de montagnes escarpées et de sommets époustouflants, couvert de forets de résineux inhospitalières et truffées d’animaux sauvages en liberté : l’écrin parfait pour un polar « noir sur fond blanc » ! Caméra subjective utilisée quand il le faut, flash back parfaitement bien calé dans le scénario (pour que l’on comprenne ce qu’il va arriver juste quelque secondes avant que cela n’arrive), montage astucieux, Taylor Sheridan connait son sujet et sait placer sa caméra, il sait comment alterner les gros plans sur les visages et les plans immensément larges sur la nature hostile qui les entoure. Le film, qui dure moins de deux heures, passe très vite et c’est le signe d’une réalisation qui ne faiblit pas, d’un rythme soutenu. On entre dans le film en quelques minutes et l’on en ressort sans jamais avoir décroché, on peut juste remarquer ici où là quelques scènes un tout petit peu bavardes, on peut trouver aussi que la toute fin tire un tout petit peu en longueur mais ce n’est vraiment pas grand-chose au regard du reste du film. Et puis il y a quelques scènes fortes, voire très fortes comme la scène surréaliste
où quatre juridictions (police de l’Etat, FBI, police indienne et police industrielle de l'exploitation gazière) se mettent en joue dans une juridiction mal définie, ou la scène de fusillade spectaculaire de la fin, qui laisse le spectateur un peu tétanisé sur son siège !
« Wind River » est un polar assez violent, je le concède, mais sans violence gratuite et obscène, ce qu’il faut pour un polar crédible qui se déroule dans une région hostile. Au casting, Jeremy Renner, un acteur que je ne connais pas très bien mais que je trouve ici particulièrement bon, tout en sobriété et qui laisse affleurer l’émotion au travers de quelques gestes, quelques regard, pas plus. A ses côtés, Elisabeth Olsen fait de son mieux. Son rôle est plus facile, dans le sens où elle incarne une jeune recrue du FBI inexpérimentée et envoyée seule dans une réserve indienne pour élucider un crime (ce qui en dit long sur la considération de l’Etat Fédéral pour les indiens) et l’un dans l’autre, elle ne s’en sort pas si mal, même si elle fait un peu « light » pour un rôle de flic. « Wind River » est un polar ce qui implique un crime, une enquête, des suspects et un coupable, de ce point de vue le scénario choisit la crédibilité :
le mobile du crime en question étant d’une atroce banalité et d’une crédibilité malheureusement totale
. Mais tout en étant le centre de l’intrigue, le crime et son explication n’est qu’une composante de ce qui fait l’intérêt de « Wind River ». Le contexte autour de ce crime est tout aussi intéressant, et ce contexte c’est celui de la réserve indienne. C’est un sujet qu’en Europe, évidemment, on connait mal mais « Wind River » montre de façon assez crue, sans être misérabiliste ou voyeuriste, ce qu’est la réalité de la vie dans les réserves indiennes dans l’Amérique d’aujourd’hui : minées par l’alcool et la drogue, plombées par la délinquance et le désœuvrement, abandonnées par l’Etat Fédéral, les réserves indiennes sont des endroits où l’on tourne mal ou dont on rêve de s’enfuir à la première occasion. Avoir campé son film dans son contexte est une excellente idée, même si je parie que Sheridan n’est pas le premier ni le dernier l’avoir eu. Le scénario de « Wind River » est assez malin dans le sens où l’on comprend vite et entre les lignes que l’histoire de la mort de Natalie résonne en Cory de façon douloureuse.
Sans donner toute les clefs, on comprend que sa fille ainée est morte dans des conditions assez similaires 3 ans auparavant. Son ex-femme, indienne, a quitté la réserve et cherche visiblement à s’en éloigner encore davantage sans qu’on sache très bien si c’est pour s’éloigner de la mort de sa fille ou de la réserve et de sa violence endémique, sans doute un peu les deux
. Le scénario laisse certaines questions en suspens sur Cory, son passé, son histoire et c’est très bien comme cela. J’ai cru un moment que le film allait mal tourner et qu’on allait « résoudre » comme par magie la mort d’Emily en résolvant celle de Natalie, mais non… Bien-sur, on peut déplorer que « Wind River » fasse la part belle à
une certaine justice expéditive, qu’elle joue un peu trop sur le refrain « œil pour œil, dent pour dent » mais c’est une vision européenne des choses.
Dans le Wyoming, même en 2017, les trappeurs portent des chapeaux de cow-boys, les gamins de 8 ans ont des fusils dans leur chambre, et les comptes de règlent « entre hommes », ce qui semblent convenir parfaitement aux instances fédérales. C’est une autre culture, qui nous est assez étrangère pour ne pas dire « exotique », c’est surtout le sel de ce polar brutal, sauvage comme les Rocheuses enneigées. Dans « Wind River », il y a deux sortes de loups, ceux qui attaquent les troupeaux, et ceux qui attaquent les jeunes indiennes, les premiers étant nettement moins dangereux et bien plus fréquentables que les seconds.