Avant de s'être fait un nom par l'écriture de scénario, Taylor Sheridan était un acteur. Il a notamment eu des rôles dans des séries comme Veronica Mars ou Sons of Anarchy. C'est après un passage peu concluant derrière la caméra en 2011 avec son premier film Vile, un torture porn crade et sans intérêt, que ce dernier se consacra plus à la conception de scénario. Ayant scénarisé le très bon Sicario de Denis Villeneuve mais aussi le prenant Hell or High Water de David Mackenzie, il s'est très vite accordé les faveurs d'Hollywood. Au point que pour son troisième scénario, qui se veut comme le point final d'une trilogie sur les frontières américaines modernes entamée par les deux précédents, soit mis en scène directement par lui. Wind River nous fait donc la promesse d'être dans la lignée des deux précédents écrit de Sheridan mais en embrassant encore plus la vision de son auteur, encore faut-il que ce dernier prouve ses talents de cinéastes.
Taylor Sheridan est un scénariste solide, mais au fond terriblement classique. Ce qui faisait la force de son Sicario malgré des personnages forts et un sous-texte plutôt ingénieux c'était la manière chirurgicale avec laquelle Villeneuve s'appropriait son script et lui donnait vie. Malgré tout, Sicario restait le meilleur travail de Sheridan grâce à son regard sur le monde mais aussi sa densité thématique. Hell or High Water s'apparentait déjà à un thriller bien plus classique et prévisible, que Mackenzie mettait en scène avec savoir-faire mais sans transcendance. On y retrouvait encore ce regard désabusé sur une Amérique en perte de repères. Regard qui se répercute directement sur Wind River. Après la frontière du Mexique où la distinction entre le bien et le mal devient floue, puis l'histoire où les pauvres gens sont broyés par un système implacable qui les pousse aux crimes, Sheridan s'intéresse aux fondements et l'héritage d'un pays avec un crime sordide qui se déroule au sein d'une réserve indienne.
Wind River est donc un film qui possède un sous-texte beaucoup plus affirmé que Hell or High Water, sur beaucoup de points il se rapproche plus de Sicario. Que ce soit dans la relation entre le personnage principal taciturne et expérimenté face au personnage féminin qui semble un peu perdue face à cette univers, mais encore sur le regard qu'il porte sur la communauté indienne qui n'est pas sans rappelé celui déjà porté sur le Cartel dans Sicario. Ce sont deux mondes opposés mais deux mondes totalement à part de celui dans lequel nous vivons, qui sont régis par leurs propres règles. Mais c'est là où le bât blesse car il devient vite évident que Sheridan tente de faire son propre Sicario. Malgré un propos très intéressant sur les oubliés qui se sont vu dépossédés de leurs terres pour que l'on y construise un pays où ils n'ont pas leur place, le film s'embourbe dans une démarche bien trop évidente et parasitée par des dialogues appuyées et des relations pour le moins inertes. Dans Sicario, le fait que le personnage féminin soit malmenée dans un monde d'hommes avait du sens car elle était la représentation de la droiture dans un univers corrompu. Elle était le vecteur central du film. Ici, Sheridan tente une démarche similaire avec son personnage féminin qui doit apprendre les règles du monde dans lequel elle entre. Sauf qu'à trop la réduire à la potiche que doit se trimbaler le personnage principal, elle en devient inutile au récit. Même si elle n'a pas vraiment la personnalité d'une potiche, on ne compte plus les fois où le protagoniste la prend par le bras pour lui montrer des indices et lui expliquer la vie où que celle-ci pleure lorsqu'elle entend une histoire tragique. De plus, elle pourrait être totalement enlevée du récit que celui-ci ne subirait aucun changement car elle n'apporte rien au niveau relationnel mais encore moins au niveau de l'enquête. Elle permet juste au protagoniste d'avoir une raison d'évoquer son passif.
Après sa fonction d'agent du FBI lui fait représenter le gouvernement et on peut extrapoler en disant que le film critique la négligence du gouvernement envers les populations indiennes mais elle s'intéresse beaucoup trop à leur sort pour que cela soit cohérent. Au final, en voulant rejouer la relation qui régissait Sicario entre ses deux protagonistes, Sheridan se tire une balle dans le pied avec un élément qui handicap son Wind River. On a plus de mal à s'attacher à ses personnages ici, car même si individuellement ils sont très bien, surtout celui de Jeremy Renner, ils n’interagissent pas vraiment ensemble. Le tout donne une sensation que tout le monde est déconnecté vis à vis des autres. Ce qui fait que malgré un final touchant, on ne parvient pas à être ému de ce qui nous est raconté car l'on ne sait pas engagé envers ses personnages. On suit une intrigue solide avec un certain intérêt mais sans investissement émotionnel. Le suspense n'étant pas aussi la priorité cela devient dommageable car le "choc" de la révélation ne prend pas non plus. Surtout que le film manque de subtilité quand à la représentation des coupables.
On retiendra surtout un casting impliqué avec notamment un Jeremy Renner dans un de ses meilleurs rôles. Tout en retenue il offre une performance sensible et juste. Elizabeth Olsen n'est pas en reste non plus, malgré un personnage assez faible elle offre une très bonne performance et parvient à donner un minimum d'épaisseur à son rôle. Jon Bernthal vient aussi faire une petite apparition et confirme être un des acteurs les plus charismatiques de sa génération arrivant presque à voler le film avec que quelques répliques. Le casting est donc très bon et arrive à faire vivre le film là où le scénario et la réalisation toussote un peu. Car ici la réalisation est tout juste scolaire. Malgré de sublimes paysages, Sheridan ne va pas trop forcé pour essayer de les embellir encore plus ou de leur donner une atmosphère particulière. On sent qu'il essaye de se rapprocher de ce qu'il a appris de Villeneuve, l'élève a été à bonne école mais jamais il ne dépasse le maître. Sa mise en scène est classique, sans fulgurances et parfois même maladroite comme lorsqu'il explore des idées intéressantes mais qu'il les abandonne en cours de route comme si il ne savait pas comment les achever. Visuellement on a donc un film qui remplit sa fonction mais qui n'arrive jamais à asseoir une séquence ou sortir du lot.
Wind River est un thriller globalement solide mais qui apparaît quelconque. En dehors de son casting sans fausse note, le film accumule les maladresses que ce soit dans son écriture légèrement forcée et moins pertinente que les précédents travaux du cinéaste ou dans la réalisation encore hésitante de Sheridan. Celui-ci prouve d'ailleurs qu'il est un scénariste qui a de plus en plus de mal de se renouveler que ce soit sur ses ressort émotionnels ou sur ses réflexions. Wind River est donc un peu décevant, même si il se suit sans déplaisir, il reste très clairement le maillon le plus faible de cette trilogie instaurée par Sheridan car celui-ci est non seulement moins inspiré mais son film ne bénéficie pas de la précision de Villeneuve ni de l'efficacité de Mackenzie.