Ce que je vais commencer par dire ne va pas rajeunir certains d’entre nous. Souvenez-vous : le 27 mars 2006 (eh oui, déjà…), sortait dans les bacs l’album "Midi 20", le premier album studio de Grand Corps Malade qui fit découvrir SON histoire à la France entière à travers un nouveau genre musical. Un album à la fois sombre et plein d’espoir qui a emporté le cœur de quelques 600 000 personnes par ses textes et sa virtuosité dans le maniement des mots, et qui a valu à l’artiste quelques prix et... pas des moindres ! Dix ans ont passé. Et il s’en est passé des choses, en 10 ans ! Le 2 novembre 2011, est sorti en salles "Intouchables", un film parlant du handicap et de tout ce qu’il engendre. Trois ans plus tard, c’est l’avènement de "La famille Bélier", elle aussi en prise avec le handicap. Et maintenant, "Patients". Avec du recul, il serait aisé de penser que l’immense succès de "Intouchables" a fait des émules, d’autant plus que ce film a fait retrouver au cinéma français un niveau perdu depuis trop longtemps. Cependant je ne pense pas que Grand Corps Malade (Fabien Marsaud de son vrai nom) ait eu envie de surfer sur le succès des deux films précédemment cités, bien que ça aide quand même un petit peu, notamment auprès des producteurs. C’est juste qu’après avoir partagé son histoire à travers la musique, il a voulu entrer davantage dans les détails par le biais du bouquin publié en 2012, et comme s’il estimait que cela ne suffisait pas, il a certainement tenu à mettre des images sur le tournant de sa vie et son combat, au moment-même où les services hospitaliers sont de plus en plus remplis de personnes au destin brisé. Sa volonté de toucher un public le plus large possible est bien réelle, et sa façon d’exposer les choses n’a pas changé : son film, co-réalisé avec Mehdi Idir, ne tombe jamais dans le pathos, et réussit même à nous faire rire de bon cœur du malheur qui s’est abattu sur ces gens dont les corps sont désormais irrémédiablement meurtris. Pourtant… l’ouverture du film se fait de façon empathique, comme si le spectateur était le patient que Fabien Marsaud a été, la caméra étant alors les yeux de celui qui se retrouve cloué au lit du jour au lendemain, et qui découvre un environnement froid et aseptisé dans le flou des vapeurs anesthésiques résiduelles. L’horizon empli de projets est alors devenu un dédale de faux-plafonds parsemés de néons mal protégés derrière des grilles aux multiples carrés. A ce moment-là, on se demande comment on va se sortir d’une longue agonie physico-psychologique pour arriver à ce que la bande annonce nous promettait. Eh bien il suffit d’un transfert vers un centre de rééducation : nouveau cadre, nouveau personnel, et c’est par le biais du génial aide-soignant Jean-Marie (excellent Alban Ivanov) qu’un ton jovial et plein de vie est désormais amené, provoquant un énorme contraste avec le discours désincarné des médecins. Malgré les difficultés rencontrées avec la nouvelle condition physique, l’humour est omniprésent, doté parfois d’un langage particulièrement fleuri, mais cela n’empêche pas les réflexions profondes. A l’occasion d’une interview accordée lors la promo du film, Grand Corps Malade a déclaré que l’humour a été relativement édulcoré. Dans la réalité, c’est plus trash que ce qui nous est montré ici. Dire s’il a bien fait ou pas est difficile à dire, car en sachant cela, on a presque envie de savoir ce que ça donnait ; dans l’autre sens, cela aurait pu devenir rapidement insupportable. Quoiqu’il en soit, devant l’écran, le spectateur en a pour son argent, et la preuve en est quand on entend une salle comble rire de bon cœur et à l’unisson. Après tout, c’est en partie ce qui compte. Pour ce qui est du propos, on retrouve le même que celui que nous avons découvert dans l’album "Midi 20". Ceux qui en connaissent ses textes reconnaîtront d’ailleurs dans le déroulement du film une des chansons de cet album : "Sixième sens". C’est-à-dire l’envie de vivre. Et ce avant même que la chanson ne soit amenée, ce qui fait que l’intégration de ce titre dans la bande originale est pour le coup presque inutile. Mais elle vient tout de même appuyer le récit pour ceux qui ne connaissent pas encore (ou peu) ce qu’on peut appeler dorénavant l’œuvre de toute une vie. D’ailleurs, tous les morceaux venus orner ce film ont été triés sur le volet, pour donner plus de force encore aux textes des chansons d’une part, et d’autre part à la trame du film exactement là où l’inexpérience des réalisateurs les empêche d’aller plus loin. Les cinéastes, inexpérimentés ? Oui, mais pas tant que ça en fait. La narration s’est voulue simple : mis à part quelques plans intéressants comme la prise de vue à la verticale sur le brancard lors du transfert en ambulance, aucun effet de style n’a été utilisé, si ce n’est le gros plan tourné au ralenti sur les projections d’eau sur Benjamin, relatant les bienfaits de la toilette. Après, c’est l’interprétation irréprochable de l’ensemble du casting qui fait le reste. Qu’ils aient subi des traumatismes crâniens, qu’ils soient tétraplégiques ou paraplégiques, ou je ne sais quoi encore, nous nous prenons de sympathie pour les différents personnages, notamment pour Benjamin qui est au centre du film, mais aussi pour Samir El Bidadi, dont le regard perdu dégage une douceur et une gentillesse infinies. La direction d’acteur n’y est d’ailleurs à ce titre pas étrangère, se servant du vécu qui vaut bien mieux qu’une documentation poussée, aussi approfondie soit-elle. Car Grand Corps Malade n’a eu de cesse d’indiquer à Pablo Pauly (Benjamin) de ne pas chercher à l’imiter pour interpréter son personnage, mais plutôt de faire les choses selon son propre ressenti. Ensuite, le kiné de Fabien est venu en personne sur le tournage comme intervenant afin d’aider les comédiens à sortir un jeu juste. La photographie est comme la réalisation : sobre, sans artifice, mais efficace. Alors oui, nous ressortons de ce film avec la banane, et surtout avec la conviction que les personnes handicapées sont elles aussi... des personnes à part entière ! Et tout à fait respectables ! Oui le scénario est cousu de fil blanc, mais comment pouvait-il en être autrement quand on connait plus ou moins l’histoire de Fabien Marsaud ? C’est d’ailleurs là que je vais pousser mon petit coup de gueule, une fois n’est pas coutume. Parce que lorsque quelqu’un comme lui prend la peine de raconter son histoire, au prix de 7 semaines de tournage (seulement ?) harassant, il serait peut-être respectueux de la part du public d’écouter ce que Grand Corps Malade a à dire jusqu’au bout, et ça passe par la chanson finale, laquelle va vous amener gentiment jusqu’au terme du générique de fin. D’autant plus que ce titre résume parfaitement le film en parlant d’ "Espoir adapté". C’est exactement cela, et c’est aussi ce qu’on appelle la fameuse envie de vivre.