C'est son éditrice, Olivia Nora, qui a poussé Samuel Benchetrit à adapter le livre "Chien" publié en 2015. Le cinéaste sortait d'une période difficile de sa vie où il était en dépression et avait le sentiment de ne plus faire partie de la société à laquelle il appartient depuis toujours. Un jour, alors qu'il se promenait avec son fils et le chien qu'il lui avait offert, Benchetrit est tombé sur un SDF qui pleurait à chaudes larmes. Le metteur en scène se rappelle :
"C’est assez rare qu’un homme à terre comme on en voit trop souvent pleure de toutes ses forces. Là-dessus, un groupe de femmes fonce vers mon fils et moi pour câliner le chien sans un regard pour le SDF ! Le point de départ du livre se situe quelque part ici. A travers lui, j’ai eu envie de parler de notre société actuelle où on nous demande à tous beaucoup et de plus en plus : l’argent, la séduction, la beauté... Et pour cela, est arrivé un personnage à qui, à l’inverse, on ne demanderait absolument rien ! Un homme qui deviendrait un chien."
Samuel Benchetrit a écrit "Chien" sans jamais penser à en faire un film. C’est son producteur d’Asphalte, Julien Madon, qui a d'abord pensé à une éventuelle adaptation. Ce dernier a ensuite dit au réalisateur que l’idée centrale du livre réside dans cette notion de déclassement, qui constitue la plus grande angoisse du personnage principal qui se métamorphose en chien. Il explique :
"Alors, je relis mon livre et je découvre que dès le départ, Jacques Blanchot se comporte comme un chien. Il est d’emblée dans une totale soumission. Il ne réagit pas une seconde au fait que sa femme se gratte et devienne soi-disant allergique à sa présence. Or, pour avoir vécu ces périodes de dépression, je sais que la soumission constitue une porte de sortie, un radeau au milieu de la tempête. On se met dans le sens du vent et on attend que ça se calme. Le véritable courage peut aussi se cacher dans le fait de ne pas résister. Porter à l’écran cette histoire ne me paraît donc plus impossible et je me lance dans son adaptation avec mon complice habituel, Gabor Rassov."
Samuel Benchetrit voit également Chien comme un film politique dans le mesure où il traite de fascisme, d’autorité et de pouvoir. Vincent Macaigne y voit même un rapport au djihadisme. "Comme dans tous les films qui sont des abstractions ou des dystopies, chacun peut en fait y mettre ce qu’il ressent. J’aime que l’on me parle d’une réalité sans ne jamais perdre le rêve. C’est ce que sont les hommes, je crois. Je veux être proche de mon personnage, ne pas non plus chercher à forcer le spectateur à une idée ou une pensée unique. Aussi, pour moi, Chien est un film sur des gens en colère, à bout, à bout de force au cœur d’un monde qui s’effondre. Des populations de plus en plus nombreuses que l’on sollicite chaque jour davantage, ce qui les conduit à une plus grande crise identitaire et à une solitude", confie le metteur en scène.
Samuel Benchetrit a tourné, en compagnie de son équipe, dans des endroits très différents pour créer cette dystopie au sein de laquelle le spectateur ne peut pas savoir où l’action se déroule précisément. La ville que l'on voit à l'écran n'est ni définie, ni chaleureuse, mais est représentée comme une succession de lieux de béton, de maisons carrées comme des boîtes... Le cinéaste ne voulait pas non plus que le soleil soit trop chaleureux. Il recherchait un effondrement de la nature dans ce monde de béton pour qu’à l’intérieur de celui-ci, on découvre une sorte de Saint en la personne de Jacques.
Samuel Benchetrit a tourné Chien en format Scope. En pensant au film, il a tout de suite eu en tête l’image d’un chien allongé. "J’imaginais un film... allongé, ambiance que le scope permet de rendre au mieux tout en apportant une sorte de mélancolie. Car Chien a aussi pour moi la saveur d’un road movie à l’intérieur d’une ville. Aussi ce format me permettait d’isoler encore d’avantage Jacques dans l’image et le décor. Le hors champ se situait en face de lui, dans ce qu’il voyait à travers ses yeux émouvants", déclare le réalisateur.
C'est assez tard dans le processus d'écriture que Samuel Benchetrit a pensé à Vincent Macaigne pour incarner Jacques Blanchot. Au départ, quand son agent lui a parlé de lui, le cinéaste le trouvait trop jeune pour le rôle tel qu'il l'avait en tête. Mais en le rencontrant, Benchetrit a été séduit par sa vision du scénario et les idées qu’il a immédiatement apportées au personnage.
A l'origine, c'est Jean-Claude Van Damme qui devait jouer ce dresseur de chiens campé par Bouli Lanners. Mais pour des raisons de divergences artistiques entre Samuel Benchetrit et la star du cinéma d'action, la collaboration n'a finalement pas eu lieu. "Quand j’ai écrit le livre, j’avais l’image de Chuck Norris en tête : cette figure angoissante d’un homme sûr de son fait et qui n’en démordra jamais. En l’occurrence, ce dresseur déçu par les hommes - et sans doute encore plus par les femmes - ne jure que par les animaux et l’autorité violente qu’il exerce sur eux. Il parle des bêtes comme il pense aux hommes. Physiquement, Jean-Claude me paraissait parfaitement correspondre à ce que j’avais en tête. Mais j’ai assez vite compris qu’on n’avait pas la même vision des choses. Je ne sais pas s’il avait vraiment compris le film que je voulais faire, et les moyens financiers dont je disposais !! On s’est donc séparé à l’amiable", raconte le metteur en scène.
Le tournage du film a duré cinq semaines en hiver et avec des chiens, ce qui a accentué les difficultés de tournage. "En fait, le tournage devient une sorte d’atelier géant où il faut réécrire des scènes quand les chiens refusent de faire ce qui est prévu. Mais malgré ce manque de temps, je ne ressens jamais vraiment de pression. On sait bien que les meilleures fêtes ne sont pas celles où tout est organisé de A à Z, et surtout les plus dotées financièrement", se rappelle Samuel Benchetrit.
Au niveau du son, Samuel Benchetrit voulait d’un film relativement silencieux même s'il avait bien conscience qu’il lui fallait malgré tout, ici et là, des moments musicaux pour accompagner le récit. Le réalisateur a alors cherché une musique qui viendrait de la nature. Il se souvient : "Or il se trouve que j’écoutais à ce moment-là « Music for heart and breath », un album signé d’un musicien surdoué : Richard Reed Parry, l’un des leader d’Arcade Fire, qui en dehors de ce groupe, fait de la musique classique minimaliste inspiré de Steve Reich ou Philip Glass avec un quatuor. Un jour, j’ai mis sa musique sur mes images et ça collait à merveille. Je lui ai envoyé un mail pour qu’il puisse visionner le film. Il a aimé et m’a accompagné."