Impossible de considérer cette histoire de rivalités féminines autour d'une reine de pacotille sans convoquer les grandes références du genre. Film de costumes sur fond de musique classique, doté d'une esthétique soignée et rempli de scènes éclairées à la bougie, on pense bien évidemment à Barry Lyndon, et au-delà à l'application d'une formule académique ayant fait ses preuves. Passé ces impressions de déjà vu empêchant le film d'acquérir un caractère unique, on se laisse volontiers happé par ce trio d'actrices aux traits si différents, alternant fragilité, fougue, art de la manipulation et charme authentique. Si Olivia Colman (la reine Anne) incarne le pouvoir autour duquel va se déclencher les passions, la richesse des enjeux tient davantage aux jeux alambiqués de Rachel Weisz (Lady Sarah) et Emma Stone (Abigail Hill), étonnamment considérées comme des seconds rôles aux yeux de l'académie des Oscars. Le spectateur est successivement ballotté par leurs diverses manœuvres, se retrouve tout aussi dindon de la farce que la reine, incapable de prendre parti pour l'une ou l'autre grâce à un schéma narratif refusant tout manichéisme. Cet aspect doit autant au scénario qu'à la vista du réalisateur grec Yorgos Lanthimos (The lobster, Mise à mort du cerf sacré) qui s'amuse à brouiller les cartes en magnifiant ou réduisant ses cadres, son rythme, ses personnages, rendant parfois beau le malsain et laid les moments censés traduire de la fraîcheur. Aussi sommes-nous pris à l'estomac par la séquence tyrannique concernant un inoffensif lapin ou troublés par la distorsion entre la grossièreté de la reine et la convoitise générée. Comme par ce film qui séduit en refusant la tendresse, envoie de bonnes vibrations tout en consacrant la cruauté, joue de faux-semblants pour persuader de sa vérité.