"Les mots construisent des ponts vers des régions inexplorées".
"Imperium" s'ouvre sur cette citation dont l'auteur n'est autre que... Adolf Hitler. Presque toute la suite des évènements explorés par ce premier film de Daniel Ragussis découlent de cette dichotomie entre la profondeur de ces mots et la nature de l'auteur dont ils émanent...
Jeune agent du FBI brillant mais cantonné à un travail de bureau à cause de son introversion, Nate est choisi pour infiltrer des organisations prônant la suprématie blanche pour déterminer si l'une d'entre elles prépare un attentat avec une cargaison de césium signalée disparue...
En vue de se préparer à cette immersion dans ces mouvements fascistes, Nate dévore des ouvrages des innombrables doctrines nauséabondes qui manipulent les mots de l'histoire, de la philosophie, des religions ou des politiques pour fonder leurs arguments improbables et les rendre crédibles auprès d'un certain public ne demandant qu'à trouver une justification à leur haine de l'autre déraisonnée. À l'écran, avec une certaine redondance, Daniel Ragussis nous retransmet ce flot d'informations assimilées par des centaines d'images de tous ces groupuscules extrémistes aux cérémonials bien spécifiques pour donner à leurs membres le sentiment d'appartenance à une force de groupe qui les dépasse.
C'est ensuite par les mots, encore une fois, que Nate va réussir à s'infiltrer et poursuivre son enquête. Au travers de celle-ci, grâce à quelques conversations, le jeune agent infiltré va mettre en exergue toute les faiblesses, les contradictions et le côté pitoyable de ces hommes qui ont choisi d'embrasser la cause raciste pour les dissimuler. Cela passera par un skinhead adolescent incapable de surmonter un traumatisme d'enfance et vivant par cet engagement une forme perpétuelle de vengeance insatisfaite, un jeune chien fou qui trouve là le meilleur moyen de faire exploser sa violence intérieure, un brillant orateur capable de rameuter les foules autour de ses idées mais dont le statut social est bien loin des airs qu'il se donne derrière un micro, le chef d'une ligue de nazillons ridicules qui se donne une contenance par un apparat bardé de croix gammées, ... Mais la pire représentation de ce Mal s'incarnera sans doute dans un père de famille, ingénieur, bien sous tous rapports, à la culture brillante et organisant des barbecues pour tous ces personnages dans sa maison de banlieue. On y décelera ici quelque chose de peut-être encore bien pire que chez les autres : une haine de l'autre se confondant dans la normalité du cocon familial et transmise de génération en génération par le simple environnement social (la courte scène entre Nate et les enfants est terrifiante) et des traditions confisquées par l'organisation dont ils sont membres (un mariage célébré selon les règles du KKK par exemple)...
Ce passionnant passage en revue de toutes les formes que peuvent prendre ces mouvements extrémistes se fait donc au sein d'un thriller d'infiltration assez classique, mais toujours efficace, où les grandes questions sont de savoir "si un de ces groupes fabrique une bombe, lequel ?" et si la couverture de Nate peut tenir sans être découverte jusqu'au terme de son investigation. Sans être dans une approche aussi frontale qu'un "American History X", "Imperium" préfére laisser le racisme s'exprimer par ses propres mots qui le mettent face à son propre vide intellectuel et aux traumatismes humains dont il se sert comme principal carburant. Même si quelques facilités et passages obligés l'empêchent d'accéder au statut de "grand film", il faut bien avouer que Daniel Ragussis s'en sort vraiment bien pour un premier long-métrage. D'autant plus qu'il dispose d'un atout de poids : un Daniel Radcliffe décidément surprenant par ses choix et impressionnant de la première à la dernière minute.