La Cité muette : les secrets du tournage

C'est en 2010, alors qu'elle travaille sur son documentaire La Tribu de Rivka, que Sabrina Van Tassel découvre l'existence de la Cité de la Muette. Stupéfaite de comprendre que ce qui correspond à un ancien camp de concentration est toujours habité, la cinéaste décide de faire un film sur cet endroit afin de répondre aux questions qu'elle se pose : "Qui étaient ces gens qui habitaient dans un ancien camp ? Qui avait orchestré ça ? Pourquoi n'était-ce pas un musée? Pourquoi n'étais-je pas au courant de l'existence de ce lieu, moi pour qui le seul mot de Drancy évoquait immédiatement la déportation et la mort ?"

Camp de transit pour les juifs déportés de France, le camp de Drancy n'internait au départ que des hommes. Mais après la Rafle du Vélodrome d'Hiver, en juillet 1942, des femmes et des enfants se retrouvèrent également internés. Au total, ce sont 63 000 juifs qui furent déportés du camp de Drancy, essentiellement vers Auschwitz. C'est en raison de ce grand nombre de personnes déportées que l'on attribua au camp de Drancy, le surnom d'"antichambre de la mort".

Rétrospectivement, on estime à 76 000 le nombre de juifs déportés de France. Un chiffre considérable, malgré le "peu" de camps de concentration que la France comptait. Pour autant, le camp de Drancy a durablement marqué les esprits et demeure l'un des endroits en France où le devoir de mémoire de la Shoah est le plus important. Conseiller historique sur le film, l'historien Serge Klarsfeld évoque l'endroit en ces termes : "Drancy est le lieu le  plus connu dans le monde entier de la mémoire de la Shoah en France : dans la crypte de Yad Vashem (Jérusalem) où sont gravés dans la pierre les lieux les plus notoires de concentration et d'extermination des Juifs, Drancy est le seul lieu de mémoire français à figurer."

Ce n'est pas la première fois que La Cité de la Muette fait l'objet d'un documentaire. En 1997, Arnaud Des Pallières avait également réalisé un film, Drancy Avenir, dans lequel il était question du souvenir du Camp de Drancy, dans ces lieux toujours habités et hantés par un passé indélébile. Bien avant ça, le lieu avait fait l'objet d'un autre documentaire, Cité de la muette de Jean-Patrick Lebel, dans lequel il était aussi question du souvenir toujours vivace de la Shoah au sein de la cité.

Si en apparence La Cité de la Muette ressemble à une cité ordinaire, son passé rappelle de quelles horreurs ses murs ont été témoins. Ce lieu atypique est l'un des seuls camps d'internement en Europe aujourd'hui habité et compte près de cinq cents habitants, surtout des retraités, d'anciens SDF et des malades mentaux. Les nombreuses visites commémoratives d'anciens déportés et de groupes scolaires rappellent en permanence aux habitants la sordide histoire du lieu.

Hier camp d'internement, aujourd'hui lieu d'habitation, l'histoire de la Cité de la Muette a connu de nombreux changements au fil du temps. Mettre en parallèle la Seconde Guerre mondiale et l'époque actuelle, tel est l'enjeu narratif du documentaire de Sabrina Van Tassel, comme elle le précise : "Mon approche a été de raconter l'histoire de ce camp de concentration comme un voyage dans le temps, entre passé et présent. En suivant les anciens internés aujourd'hui, en retournant avec eux sur les traces de leur passage, les différents visages de Drancy apparaissent au grand jour et mettent en parallèle la vie et l'histoire des habitants de la cité à l'heure actuelle."

Hormis un wagon de déportés installé devant la Cité, rien ne semble d'extérieur indiquer aux visiteurs qu'ils ont devant eux, un ancien camp d'internement. Et pour cause, la Cité de la Muette est uniquement un lieu d'habitation et non un musée. Pour que les nouvelles générations participent au devoir de mémoire et n'oublient pas ce qui s'est passé, l'idée d'aménager l'espace en musée fut suggérée par d'anciens internés du camp comme Victor Perahia, qui resta deux ans à Drancy, entre 1942 et 1944 : "Je pense qu'il aurait été intéressant de garder quelques vestiges du passé et notamment une chambrée, pour que les visiteurs aient une idée un peu plus précise de ce que fut la vie concentrationnaire du camp de Drancy."

La Cité de la Muette a été classée comme Monument Historique par un arrêté de classement architectural, signé le 25 mai 2001 par la ministre de la culture de l'époque, Catherine Tasca. Quelques mois plus tard, le 6 mai 2002, le tunnel des déportés sous le camp fut également classé à son tour aux monuments historiques.