Nathalie Nambot et Maki Berchache se sont rencontrés en avril 2011. Le second était arrivé à Paris depuis deux mois, après la révolution, par Lampedusa, avec des centaines d’autres jeunes tunisiens. Il se souvient :
"On se retrouvait à ce moment-là dans un petit parc près du périphérique à la Porte de la Villette, sans rien. Il y avait des gens, des associations qui venaient aider les migrants et amenaient de la nourriture, des couvertures, de quoi dormir. On dormait dehors. Un jour, où il y avait pas mal de police autour, des arrestations, j’ai parlé avec une fille, Jeanne, qui nous a proposé de venir dans un local pas loin du parc de La Villette… je n’avais aucune idée de ce que c’était. C’est là que j’ai rencontré Nathalie et Nicolas."
Nathalie Nambot précise par rapport à ce local, qui était un lieu de lutte depuis 2003 ("la Coordination des Intermittents et Précaires") et qui vivait ses derniers jours :
"On devait rendre les clés à la Mairie de Paris avec laquelle nous étions en conflit depuis longtemps. Mais nous avons ouvert la porte, une centaine de jeunes sont venus la première nuit. C’était un premier geste …et c’est là que nous avons rencontré Mahmoud, Maki, Badar qui sont aussi dans le film. Ils arrivaient d’une révolution et se retrouvaient dans ce pays rêvé, la France… à la rue, mais plein d’énergie… Le ITW deuxième geste d’hospitalité, c’est eux qui l’ont fait : ils ont pris les marmites et fait à manger pour nous tous… c’est humiliant et très dur de faire la queue pour manger, dehors, l’aide humanitaire, les photographes qui sont là parce que des bagarres éclatent… alors retrouver une certaine dignité — ce mot qui était au coeur des révolutions arabes — c’est vital."
Après la lutte, Nathalie Nambot et Maki Berchache sont restés amis. L'idée de faire ce film est venue bien après, lorsque les deux personnes ont fait un pacte dans un café. Maki se rappelle : "Nathalie venait de gagner un prix avec son premier film, elle m’a proposé de le partager. Moi je n’avais ni argent ni papier. On a commencé à faire des conversations, à les enregistrer, à écrire, à relire".
Nathalie Nambot et Maki Berchache ont décidé de partir d'une phrase dite par le second comme point d'ancrage de Brûle la mer : "Il n’y a que l’histoire des grands qui s’écrit, nous on n’existe pas". La première poursuit :
"Un écho aussi avec mon histoire. C’est un film d’après-coup, comment revenir sur des évènements tellement commentés par l’actualité. Comment faire en sorte que les premiers concernés prennent la parole, puissent revenir sur leur propre expérience... s’offrir ce temps-là, de la pensée, choisir ce qu’on veut dire, ne pas dire… une forme d’égalité… bien sûr, c’est pas simple, parce que ça fabrique des nouvelles contraintes, c’est moins direct, et surtout il y a le temps du désaccord, des questions, des refus. Mais faire ce film ensemble, c’était tenter de tenir cette promesse-là. Avant tout."
Nathalie Nambot et Maki Berchache étaient tous les deux en situation précaire au moment où ils ont commencé la mise en chantier du film. La première touchait le RSA et le second, sans papiers, tentait de trouver un petit boulot. Maki explique : "On a écrit un dossier pour le film et fin 2012 on a su qu’on allait recevoir de l’argent. Et entre-temps, je me suis Pacsé, ça m’a permis de régulariser ma situation avec un récépissé qui autorise le travail et puis, pendant qu’on faisait le film, j’ai eu la première carte de séjour."
Nathalie poursuit : "On a obtenu un financement du CNC et de la Scam avec Maki en tant que coréalisateur, ça a donné du poids au dossier de régularisation à la préfecture. La vie matérielle, c’était aussi un des enjeux. On a rencontré Eugénie Michel-Villette des Films du Bilboquet qui nous a accompagnés dans cette aventure. Et on est devenus intermittents ! Pendant un an, entre salaires et indemnités chômage, du boulot par ci par là, on a avancé par fragments. Tous ceux qui ont participé au film ont été payés. C’est important."
L'expression « brûler la mer » n’existe pas en arabe, mais pour les Tunisiens qui habitent au sud "brûler" est un mot connu pour ceux qui veulent traverser la mer pour rejoindre l’Italie et l’Europe en clandestin. "« brûle » signifie vraiment l’acte de traverser une frontière, de casser ce mur des frontières. Et chez nous le mur, c’est la mer… c’était aussi jouer avec les mots « mer « et « mère », on utilise le même mot « brûler » pour dire la souffrance des mères qui voient partir leurs enfants. Ça brûle dedans", précise Maki Berchache.