La très grande force de La Mort de Louis XIV, et c’est là son principal intérêt, réside dans la peinture d’une agonie royale qui rappelle que même la mort du roi n’échappe pas aux cérémonials. Albert Serra compose une œuvre volontairement figée, engluée dans des postures qui, par contrecoup, révèlent les dernières lueurs d’un soleil vacillant, un soleil qui peine à manger, demande à boire, souffre d’une gangrène de la jambe que l’on soigne en appliquant des onguents. C’est parce que tout est pris d’immobilisme que les mouvements infimes du corps terrestre du roi nous sont accessibles, mieux visibles et intelligibles. Le prince est entouré de perruques poudrées qui divulguent mal des visages blafards et maladifs ; à son côté droit, un tableau, un portrait de lui plus jeune, icône cristallisant l’image mythique du roi tout en fonctionnant comme une vanité, la preuve que la peinture immortalise une beauté coupée de sa réalité physique, elle condamnée à la dégradation. Car la médecine, représentée ici par le personnage de Fagon, docteur de la Faculté de Paris, apparaît comme une science imparfaite : « Monsieur, nous ferons mieux la prochaine fois », assure-t-il au roi après son départ. Albert Serra nuance donc les représentations traditionnelles de la figure du médecin : il refuse de l’aborder par le biais du regard comique défendu par le théâtre de Molière notamment, préfère travailler la complexité de son rôle comme La Bruyère la révélait dans la remarque 68 de la section « De Quelques Usages » de ses Caractères. Le médecin véritable – par opposition au charlatan – est celui qui a conscience des limites de sa science mais qui croit en son perfectionnement. La Mort de Louis XIV met par conséquent en scène deux impuissances : le roi en tant que corps physique impuissant à ne faire qu’un avec le corps mystique, le médecin incapable de sauver son prince parce qu’on ne guérit pas la mort, sinon en se confrontant à la volonté de Dieu. Sublimé par la mise en scène d’Albert Serra qui pense chacun de ses plans comme un tableau, travaille la lumière de façon à plonger ses espaces dans une pénombre préfigurant le crépuscule du monarque. Une œuvre magistrale, mais un peu trop longue par moments, sans que ces longueurs ne participent à l’agonie en tant que spectacle de la douleur. Jean-Pierre Léaud est bouleversant.