Les malheurs de Sophie est une adaptation du roman pour enfants écrit par la Comtesse de Ségur et publié en 1858. C'est la 3ème adaptation cinématographique de l'oeuvre après une première réalisée en 1946 par Jacqueline Audry et une seconde mise en scène par Jean-Claude Brialy en 1980.
Après avoir adapté les poèmes d'Ovide avec Métamorphoses en 2014, Christophe Honoré s'attaque à une nouvelle adaptation de classique de la littérature avec Les malheurs de Sophie. Le cinéaste a découvert la célèbre auteure à la fin de l'école primaire en dévorant toutes ses oeuvres.
Pour trouver sa Sophie, Christophe Honoré a auditionné plus de 800 fillettes. Il tenait à ce qu'elle dégage la spontanéité et l'énergie de la Sophie du livre, c'est pour cela que le metteur en scène souhaitait une actrice qui n'ait pas "l'intelligence de la caméra" et qui jouerait pour la première fois à l'écran. L'artiste a finalement jeté son dévolu sur Caroline Grant : "J’ai remarqué très vite, qu’elle avait un goût pour le jeu très fort. Physiquement, en plus, elle correspondait à la petite fille de château que j’imaginais : ses grands yeux, ses boucles noires, sa vivacité, son énergie, et même le timbre de sa voix", relate le réalisateur.
Christophe Honoré a pris quelques libertés avec le roman original en mélangeant les intrigues des Malheurs de Sophie et des Petites filles modèles. Les deux livres font partie d'une trilogie publiée entre 1857 et 1859 (Les petites filles modèles, Les malheurs de Sophie et Les vacances) : "Il m’a semblé qu’en réunissant dans un même film « Les Malheurs de Sophie » et « Les Petites Filles modèles », je pouvais construire un modèle de récit brisé que j’affectionne. L’idylle et la disgrâce. Et surtout, je pouvais compter sur un héros enfant. J’étais très curieux de pouvoir filmer pendant des semaines une petite fille de cinq ans", confie le réalisateur.
Le cinéaste Christophe Honoré nous explique sa vision de la petite Sophie : "Je la vois comme une exploratrice du quotidien. Sophie est avant tout courageuse, elle fait tout ce que les enfants rêvent de faire sans jamais le faire ! Son absolue liberté en fait une héroïne de la transgression. Alors oui, Sophie détruit toujours ce qu’elle aime : sa poupée, les animaux qu’elle capture… Mais cette destruction s’accorde toujours avec un sentiment plus mélancolique, c’est comme si elle cherchait sans cesse les preuves qu’elle est bien seule au monde. Voilà, Sophie est une exploratrice échouée, qui prend peu à peu conscience que le monde est désert autour d’elle."
La poupée de Sophie est un cadeau de son père ; l'enfant la maltraite tout au long du film car elle représente tout ce que la fillette ne veut pas être, une poupée bien coiffée, muette, et qu'on oublie sur une chaise, selon Christophe Honoré. Pour le cinéaste, c'est également une métaphore de l'enfance et de la perte de l'innocence : "Contre l’image convenue que le père porte sur les filles, contre le destin convenu qu’il lui promet, Sophie lutte. Elle donne à sa poupée, et à elle-même la possibilité de vivre une vie héroïque", analyse le metteur en scène.
Christophe Honoré nous fait voyager jusqu'à l'époque napoléonienne dans Les malheurs de Sophie. Il a préféré transposer son histoire à cette époque plutôt qu'au 19ème siècle car cela correspond à l’époque de la propre enfance de la Comtesse de Ségur, une époque où "les hommes n’étaient pas concernés par le monde de l’enfance", selon le réalisateur. C'est pour cette raison que le cinéaste ne filme pas en entier le père de Sophie, on ne le voit seulement que de dos ou juste ses pieds.
Christophe Honoré pensait déjà à Golshifteh Farahani pour incarner la mère de Sophie mais préférait trouver d'abord l'interprète de la fillette avant de confirmer son choix : "Golshifteh Farahani a quelque chose de princier dans son allure. Je savais qu’elle apporterait un mystère dans ce château au fin de fond de la Normandie. La Comtesse de Ségur est russe, elle a vécu comme une étrangère, jamais vraiment acceptée par les cercles parisiens. J’aimais que Golshifteh nous donne ce sentiment d’ailleurs, qu’elle ne soit pas d’ici", raconte le cinéaste.
Tourner avec des enfants est très difficile, surtout quand ces derniers ne savent pas encore lire et ne peuvent donc pas apprendre le texte. Christophe Honoré a sa méthode : "Avant le tournage, pendant quatre mois, nous avons appris des scènes dans le désordre comme on aurait appris les paroles d’une chanson, sans rentrer dans le jeu. Plus tard, juste avant les prises, les enfants reprenaient la scène qu’on allait filmer et les phrases apprises quelques mois auparavant revenaient alors de manière mécanique. (...) Je ne cessais de parler aux enfants pour avoir un maximum de spontanéité (Attention, tu rentres dans la pièce, tu lui montres la poupée, tu prends le coussin, tu lances le coussin, etc…) et éviter à tout prix qu’ils se mettent à exécuter des gestes qui ne leur auraient pas appartenus", explique le metteur en scène.
Christophe Honoré a donné la priorité aux enfants dans sa mise en scène en privilégiant les gros plans sur eux et les moments de vérité captés à la volée ; les acteurs adultes, eux, ont dû s'adapter : "Impossible de faire sept prises parce qu’un comédien adulte est bon à la septième ! L’enfant, lui, à la septième prise, il dort ! Anaïs Demoustier est une actrice des premières prises, elle est toujours juste. Je savais qu’elle s’adapterait sans problème. Muriel Robin, elle, a l’habitude du théâtre. Elle est arrivée sur le plateau très préparée", confie le cinéaste.
Christophe Honoré a choisi d'utiliser l'animation pour les scènes avec des animaux : "Je ne me voyais pas demander à un petit animal sauvage de faire un premier saut sur le dossier d’un fauteuil, de gagner une armoire, de sortir par la fenêtre et de se faufiler sur la gouttière ! Mais je n’avais pas envie non plus de me priver de la précision de la Comtesse de Ségur. L’animation a été la solution. Cela me rappelle aussi Peter et Elliott le dragon (1977), un de mes films d’enfant préférés. L’animation apporte une impureté dans l’image que j’aime", analyse l'artiste. À noter que c'est Benjamin Renner, un des réalisateurs d'Ernest et Célestine, qui s'est occupé de donner vie à ces animaux animés.