Si le célèbre monstre-radioactif-qui-détruit-des-villes est enfin parvenu à s’installer dans l’imaginaire occidental depuis le blockbuster 2014 (oublions celle de Roland Emmerich, par pitié!), il n’a jamais cessé un seul instant ses activités au Japon depuis le film fondateur de Ishiro Honda en 1958 : un néophyte n’y retrouverait cependant pas ses jeunes puisque cette franchise compte pas moins d’une trentaine d’épisodes parmi lesquels quelques opus mémorables mais aussi un nombre conséquent de crossovers douteux. Pour ma part, quoiqu’ayant apprécié la classique version d’origine en noir et blanc, j’ai préféré ne pas m’enfoncer dans la généalogie orientale compliquée de la bête et le présent film, dont les images m’avaient suffisamment titillé pour que je rompe avec cette habitude, laisse donc un trou béant de cinquante huit ans dans ma connaissance de la filmographie Gojiresque. En ce qui concerne ce ‘Godzilla resurgence�....je sais bien que la taille ne compte pas mais quand même : il paraît que ce saurien là serait le plus colossal jamais apparu dans la série, surclassant même le titan de la récente version américaine de Gareth Edwards. Non qu’on puisse immédiatement l’admirer dans toute sa majesté car le premier contact avec cet épisode est assez rude : la série des Godzilla a toujours eu pour principe de laisser une large place à l’écran aux actions humaines, aux réflexions et aux démarches scientifiques, aux décisions politiques et militaires, aux conséquences économiques et sociales de l’apparition d’un tel léviathan en baie de Tokyo. C’est clairement le cas ici durant les trois quarts du film, ce qui me semble tout de même quelque peu excessif : un montage fébrile, façon reportage en zone de guerre, passe sans crier gare d’un cabinet ministériel quelconque à un centre de crise, d’une ambassade à un laboratoire secret, dans lesquels défilent sans discontinuer des figures plus ou moins importantes de la classe politique et de l’intelligentsia japonaise. La vision qui en ressort est celle de la troisième puissance économique mondiale totalement désemparée et impuissante face à ce phénomène “inédit� (enfin, on doit quand même être proche de la cent ou deux centième apparition de Kaiju en mer du Japon) puisque que comme dans tout système complexe qui se respecte, le pouvoir décisionnel et le fait d’assumer ses responsabilités se diluent un peu plus à chaque strate hiérarchique parcourue. En tant que gaijin, on se montre quand même capable de repérer certains trucs, par exemple le ressentiment silencieux de la classe politique japonaise envers l’encombrante “amitié� américaine mais enfin, on pige surtout d’instinct que la plupart des références sont à destination exclusive du public local, et qu’on ne maîtrise pas la moitié de la masse d’informations livrée par le volet théorique d’un film qui vire trop souvent au pensum verbeux. Reste le destruction-porn, malheureusement fourni en doses homéopathiques, pour se remettre de tous ces Japonais bavards en costume....même si la récente adaptation américaine faisait également preuve d’une certaine retenue à ce niveau et qu’il faut ici blâmer la sensibilité filmique japonaise pour le sentiment de trop-peu qui s’impose. En tout cas, même si le rendu visuel bénéficie enfin d’ajouts numériques, les apparitions de Godzilla sont toujours le fait d’un comédien engoncé dans un costume en latex, qui piétine des immeubles en plâtre et envoie valdinguer des trains en plastique. Ce qui est, rappelons le, le plus beau métier du monde.