Il n’y a probablement rien de plus banale qu’une journée, mais comment-ce fait-il pourtant qu’il y ait des journées qui n’ai aussi rien de banal. Un jour qui en rappelle tant d’autres mais est bien unique parce qu’on choisit d’en faire, ce sont ces décisions prises à n’importe qu’elle surface du globe, du Texas jusqu’en Irak, qui font l’objet de l’avant-dernier film du réalisateur Ang Lee, Un Jour dans la vie de Billy Lynn. Assumer les conséquences de ses actes est toute la difficulté en effet du héros d’un jour, Billy Lynn, qui était à deux doigts de sacrifier sa vie pour son supérieur dans une attaque durant la guerre en Irak. On le retrouve ainsi à Dallas avec ses camarades, revenues en héros parader durant la mi-temps d’un match de football américain pour Thanksgiving, avant de retourner ensuite au front, amenant alors les doutes dans la tête de Billy Lynn quant à cet engagement dans l’armé dont on voit qu’il n’est plus tout à fait sûr d’en avoir cerné tout le sens.
Habitué aux grandes productions américaines avec les impressionnants effets visuels de L’Odyssée de Pi ou plus dernièrement Gemini Man tournés en 120 images par secondes tout comme ce film, le réalisateur chinois s’intéresse toutefois ici à une histoire moins spectaculaire dans ce qui est montré, mais bien plus destructrice pour celui qui les subit. Ce dispositif fonctionne et va dans le sens d’une mise à distance du spectateur face à l’action, écartant toute volonté d’immersion. Le film offre avant tout une lumière, ainsi qu’une composition du cadre très déstabilisante. Les contrastes sont très forts, les couleurs très ternes, mettant presque régulièrement en surexposition les personnages, sans jamais aucune volonté d’esthétiser l’image mais au contraire en amenant un sentiment de malaise constant, grandement amplifié par les dispositions des plans et du cadre très bien pensées, qui nourrissent le film d’un style, d’une ambiance singulière qu’on n’a pas vraiment l’impression d’avoir vu ailleurs. On remarque ainsi beaucoup de plans avec un visage en plein milieu, parfois plusieurs regardant tous dans la même direction et même vers la caméra.
Le grain de l’image est lui aussi peu habituel où chaque matière que l’on voit à l’écran est rendu plus lisse, comme un simple dessin dénué de toute matière, contrairement aux visages à la peau lustrée, polie, pour en voir tous les traits désabusés qui se détachent de leur corps. Ces corps, ces chairs à qui n’est laissé que leur fonction, sans vie, condamnés à se résumé à ce pourquoi ils sont là sans plus aucun libre-arbitre, symptomatique d’un combat intérieur comme perdu d’avance que le film rend parfaitement sans jamais nous perdre. Toute notre attention en tant que spectateur repose donc sur ce Billy Lynn et ses différentes évolutions morales qui arrivent tout au long du film. Qu’il parle ou non, la caméra se concentre sur lui, augmentant directement notre intérêt pour ses tourments qui se dévoilent peu à peu que l’on découvre son passé difficile. Mais ce qui est beaucoup plus atypique concernant le film est la presque inexistante caractérisation de tous les autres personnages.
Par contraste, on ne sait rien d’eux ou presque, toutes les sensations du film se font par les réactions morales du héros et non réellement ce qui se provoque par les autres personnages. Ce qu’on apprend d’eux se fait de manière très mécanique, sans jamais paraître vraiment naturel, à l’image du jeu des acteurs par ailleurs, où au contraire on met en place une distanciation toujours plus grande du spectateur, se concentrant sur un seul et même point de vue, celui du protagoniste, un peu à la manière d’un jeu vidéo avec toutefois l’immersion du joueur en moins, bien au contraire. La scène d’intimité entre Billy Lynn et une pom-pom girl ne dévoile absolument rien et correspond à l’idée de rester en dehors de l’action factuelle, au contraire des rêves et imaginations du protagoniste beaucoup plus explicites.
Chaque élément de mise en scène avance une proposition nouvelle de ce qui peut permettre de comprendre des bouleversements intérieurs (envie d’abandon) par des éléments au contraire extérieurs (la mort d’un soldat devant ses yeux) pour pouvoir être capté par la caméra. Et malgré quelques dialogues un peu simples dénonçant naïvement la situation ironique des « héros » pour lesquelles on ne porte finalement que peu de considération, le film questionne bien plus subtilement la manière de montrer l’horreur de la guerre tout en rejetant le spectaculaire. Ang Lee joue des codes auquel on s’attend au cinéma et des films de guerre en général pour nous emmener vers une proposition bien différente. On contraste les visions de la guerre entre le point de vue manoeuvriste de la vie politique des USA avec celui descriptif et factuel des soldats, de la même manière que le réalisateur l’avait précédemment fait pour l’Odyssée de Pi d’une façon plus spectaculaire entre les rêves et la réalité, avec au final cette question : quelle version des choses a-t-on envie de voir ?