Ils ont leur peine de cœur, leurs rancœurs familiales, ils ont connu des bonheurs et des malheurs tout aussi denses, et pourtant, malgré l'hystérie, les colères, ce qui compte par dessus tout pour cette troupe ambulante de théâtre, le Davaï Théâtre, c'est de faire le spectacle avec le même entrain, la même dévotion au public, comme si de rien n'était. Léa Fehner a conçu une oeuvre hirsute, au rythme endiablé, parfois agaçante avec les excès de ses personnages, mais tellement touchante. La caméra et le montage vont vite. La réalisatrice montre non sans malice, l'instabilité émotionnelle qui accompagne la fabrique du théâtre avec un regard qui colle aux personnages, et la rapidité des textes et des mouvements. Elle capte les joies, les tristesses, comme si elle n'avait pas demandé aux personnes de jouer, mais que, finalement, il y avait deux spectacles dans cette histoire, celle que la troupe montre réellement aux spectateurs, et celle qui se joue dans la vie supposée réelle de ces troubadours. Le rythme se dégage aussi de ces sortes de saltimbanques du rire et des larmes. Les costumes absolument incroyables, les accessoires, démontrent l'investissement des équipes techniques, à la recherche d'un objet décalé, d'un animal, bref tout ce qui rajoutera au spectacle grandiloquent du film. Evidemment, derrière les excès de cris, le film recèle une grande admiration pour ces artistes ambulants, ces Molière contemporains, capables de survivre à toutes les situations même les plus improbables soient-elles, à tous les découragements, pourvu que le spectacle ait lieu le soir. Ces acteurs donnent en quelque sorte une leçon de vie, car, même face à des comportements parfaitement insupportables, l'intérêt collectif pour la représentation du soir, la solidarité certes parfois mise à l'épreuve, priment. Si tout est métaphorique, parfois les contes qui se disent dans les bars, font trembler les maîtres, pour autant, la joie demeure, et la création sauve tout. Dans "Les ogres", il y a tout à la fois du Fellini, du Kusturika, du Gatlif, l'énergie et la profondeur en plus. Léa Fehner a réalisé une oeuvre qui donne envie d'aimer, de rire, de créer et de suivre au bout du monde ces artistes engagés pour nous, spectateurs, en quête toujours d'un petit morceau d'éternité.