Le surnaturel comme émanation d’une crise de la paternité, où le monstre est tour à tour le diable que l’on ressent et la victime que l’on voit, contre laquelle on se blottit dans l’espoir de recouvrer, ne serait-ce qu’un instant, l’harmonie passée. Dans la Forêt a l’audace de son sujet et la simplicité de son fil narratif, longue errance à travers les bois au terme de laquelle la maison apparaît, telle une prison enfouie dans le cœur profond de la nature environnante. À la linéarité d’une marche viennent se heurter les perturbations cauchemardesques qui attrapent l’esprit du jeune Tom et provoquent des hallucinations dont la brièveté casse la dynamique générale, fractionne cette linéarité première en une multiplicité de segments discursifs. Le film présente l’identité comme une construction mousseuse que meurtrissent les empreintes et les coups, jusqu’à laisser entrevoir ces vers de terre grouillant dessous. Ainsi le père subit-il la violente intrinsèque de ses enfants tout droit arrivés de Paris : le cadet ressemble à l’épouse perdue, à cette épouse griffonnée des photographies ; une restauratrice reconnaît, sur un ton humoristique, la dissemblance entre les garçons et leur père. S’il est une beauté, elle est assurément maternelle. D’entrée de jeu, la figure paternelle occasionne le trouble, se trouve marginalisée en raison de son absence et de la bizarrerie qu’elle suscite. Et cette foi placée dans les dons de Tom peut être interprétée comme la recherche d’un gène commun, la preuve qu’un père et son fils partagent autre chose qu’un patronyme. Toute l’enveloppe métaphysique et horrifique de l’œuvre porte la reconquête d’un absent sur son droit à la paternité ; celui-ci pense alors le séjour de ses fils par le prisme du sensationnel : il s’agit de marquer les mémoires, d’aller loin, plus loin que ce que la vie métropolitaine a à offrir. La forêt devient merveille, et le voyage au bout des ténèbres se métamorphose progressivement en rétablissement d’un foyer et de valeurs rejetés par l’un, acceptés par l’autre. Dans la Forêt n’a qu’un seul propos : accepter l’autre dans sa différence fondamentale, parvenir à retisser les liens d’une relation entachée par le temps et la distance. Le réalisateur Gilles Marchand investit donc le genre horrifique avec talent et intelligence, prouve que la France participe pleinement de ce cinéma de la peur contemporain. Un film audacieux et perturbant.