La manière dont Microbe et Gasoil réenchante le quotidien, explose les frontières de classes sociales pour rassembler au nom du droit commun à l’imagination et la créativité, la façon qu’il a de regarder ses deux enfants non pas comme des adultes en devenir mais pas non plus comme des êtres puérils, pris entre deux âges de l’existence, marqués par une précocité qui les rend sensibles à la mort, à la sexualité et aux boutades verbeuses, tout cela participe à une ode à la liberté des plus revigorantes. L’inventivité formelle du cinéma de Michel Gondry n’était certes plus à démontrer, elle s’incarne ici une fois encore avec drôlerie et poésie : les séquences s’assemblent de manière imparfaite, à l’instar de ces planches de bois formant l’armature de la cabane sur roues, les transitions sont parfois supprimées – les personnages finissent par s’en plaindre, ils sont perdus dans le film –, la caractérisation des personnages s’avère surprenante voire invraisemblable, mais ce n’est rien. Le monde est bizarre, et le road movie improvisé par Théo et Daniel se propose de l’explorer, de réaliser un petit tour de France à partir de Versailles, un road movie dont la trajectoire se dessine au fil des routes empruntées, des chemins découverts et des indications cartographiques. Le long métrage interroge la relation qui unit et désunit les enfants et les parents, une communication impossible sinon rompue entre deux générations par la propension de l’adulte à cantonner son champ de perception sensible et d’action sur le monde à des automatismes appris puis répétés : se lever à six heures, partir travailler, revenir du travail, manger, dormir ou faire l’amour. Les adultes sont des êtres trop réglés, déréglés, à l’image de ce couple de parents esseulés sur le point de kidnapper les deux jeunes aventuriers. Les adultes sont du côté de la reproduction industrielle (des comportements, des êtres et des objets) ; les enfants, eux, sont du côté du recyclage, ils récupèrent des objets usités et destinés à la décharge pour les retaper, leur donner une vie nouvelle, ils sont des alchimistes, pratiquent la technique, propre de l’artisan et, qui plus est, de l’artiste. Peu importe la technologie à la mode, cette industrie du jetable, elle est trop fragile, elle ne sert à rien : faire caca sur le téléphone portable, le recouvrir de terre et n’en plus parler. Faire du neuf avec du vieux, bricoler ensemble, rêver ensemble. Porté par deux jeunes acteurs épatants, Microbe et Gasoil réussit l’exploit de transformer son véhicule lourdement attaché au sol en vaisseau spatial dans lequel s’immortalise un art de vivre, conservatoire d’une éternelle jeunesse, d’une éternelle vigueur, d’une éternelle créativité.