Captain Fantastic à cet intérêt d'être un film de controverse acclamé par le public. Chose peu courante, tant la richesse de sa proposition se prête à des interprétations diverses et parfois sévères, dont la presse a pu donner un remarquable aperçu. Le sujet n'est pas seulement le mode de vie complètement à contre-courant d'une famille américaine non conformiste. Le quotidien extrême imposé par Ben à ses enfants n'a rien de "réaliste". La première séquence suffit pour en juger : L'abatage du cerf n'est pas seulement troublante car elle évoque les amérindiens sans souci de cohérence avec le reste du propos, elle pose aussi problème pour ce qu'elle suppose : Nous avons affaire avec une famille de survivalistes du fin fond de la forêt, ou les enfants apprennent dans une discipline toute militaire à survivre, coupés du monde. Evidemment, cet extrême de la première partie du film - quand la famille est dans son "environnement", celui qu'elle a adopté - n'est qu'une réaction à un autre extrême, qui est, lui, très réaliste mais banalisé : La société de consommation contemporaine. Quand la famille quitte la forêt, faisant irruption dans le grand monde, Matt Ross joue de cette césure entre l'habitat qui était le leur et l'habitat courant de la majeure partie de la population occidentale pour jouer de leurs contrastes. Dans son rejet de la "modernité" de ce XXIe siècle, Ben fait de ses enfants des inadaptés à leur époque. Leur mode de vie est incomparable avec celui de leurs semblables. Vivant dans une grande simplicité de moyens, ils sont tout à fait étrangers au matérialisme ambiant ; ne connaissent pas, non plus, les même plaisirs. Jouer aux jeux-vidéos ? Regarder des films ? Se perdre sur les réseaux sociaux ? Connaître les codes d'internet/ses références ? Tout cela leur est inconnu. Pour eux, la vie se résume véritablement à une succession d'expériences, de celles qui font qu'on se sent vraiment, en vie : Partager un moment détente au coin du feu, en famille, courir dans les bois, escalader une paroi rocheuse interminable… Comble de l'ironie, si les critiques adressées aux méthodes de Ben sont recevables pour la forme, dans le fond, elles paraissent vaines. Car qui a raison ? Le parent qui vit et agit avec ses enfants selon les attendus de la société, ou celui qui, à l'instar de Ben, cherche autre chose ? Mais quelle, autre chose ? Une reconnexion aux choses essentielles de la vie, d'accord, mais pour quel résultat ? Un décalage, sans doute. Est-il souhaitable ? Question de perspective. Peut-être conduira t-il à la naissance d'une forme de sentiment de solitude chez ces enfants, puis adultes trop différents des autres. Ou bien, permettra t-il de profiter pleinement de la vie, qui est si brève, fragile et précieuse. Au final, ces problèmes sont ceux qu'affrontent tous les parents sans forcément en avoir conscience. Captain Fantastic est caricatural pour jouer de ces deux extrêmes : Ces parents qui assistent sans le voir à l'aliénation de leurs enfants, submergés d'informatique, de superflus et de plaisirs illusoires, quitte à perdre tous liens sociaux vrais et à s'éloigner de ce qui compte vraiment ; et ce parent mi-fou, mi idéal comme ben, à la recherche de ce "vrai" : La connexion à la nature, aux choses essentielles de la vie, en vivant comme si chaque jour était le dernier - dans la démesure et le n'importe quoi parfois, mais en éprouvant toujours, une curiosité pour tout. Ensuite, n'est question que de "méthode", car il ne faut pas que ça aille trop loin. Ben est plein de paradoxes, sa voie est celle d'une controverse pour le moins inspirante.