Le début du film est captivant. Les images sont belles, la vie sauvage semble plus réelle que la nôtre, on y croit, on a envie d'y croire, on voudrait vivre comme ces gens, éduquer nos enfants à peu près comme ce père, à la dure, à la réalité...
Et puis le discours commence... et tout s'effondre.
ESTHETIQUEMENT : le film très réussi, les images sont belles, la nature est sublimée, le message philosophique sous jacent (éducation au monde "réel") se veut très noble. Et on passe d'un monde sublimé à un road movie très coloré. On est sur quelque chose de très positif.
JEU D'ACTEURS : Viggo Mortensen est très bon, rien à redire sur ce point. Les autres acteurs sont un peu trop caricaturaux pour qu'on puisse tenter d'en dire quelque chose. Mais bof.
L'HISTOIRE : pas inintéressante en soi. Un homme éduque seul ses enfants à la dure en opposition complète à notre monde de consommation et de loisir, dans un vision survivaliste, anarchiste, communiste, païenne... Et à l'occasion de la mort de la mère, tout ce petit monde se trouve enfin confronté au monde extérieur ("réel" ?). Pourquoi pas, le propos est intéressant.
Alors quel est le problème ?
Le problème c'est l'incohérence et la caricature total du monde extérieur. Et le sentiment insidieux que ce père prônant une tolérance parfaite, éduquant parfaitement ses enfant, esprits sains dans un corps sains, à avoir n'importe quelle opinion pourvu qu'ils puissent la défendre... ressemble à s'y méprendre à une véritable tyranie psychologique.
Et là le malaise d'installe, car on n'arrive pas à comprendre ce que le film veut nous dire.
Veut-il nous présenter une famille d'hurluberlus galvanisé d'idéaux, atteint d'un grave complexe de supériorité, inadaptés sociaux, incohérents avec leurs propres valeurs ? Mais alors pourquoi n'y a-t-il aucun contradicteur ? Pourquoi sont-ils sublimés ?
Ou veut-il nous faire croire sincèrement à leur message philosophique ras-des-pâquerette ? Qu'on peut voler, tromper, mentir, se moquer de la civilisation moderne tout en en profitant à chaque seconde sans même s'en rendre compte ? (matériel de chasse, d'escalade, de musique, livres, auteurs, hôpitaux quand il y a des malades parce que OK, ils sont tous idiots et corrompus dehors, mais bon, ils savent soigner, on ne sait pas trop pourquoi...) Se prétendre athée (parce que faut être sérieux, les chrétiens sont vraiment stupides) mais recréer autant de rites religieux que n'importe quelle autre religion ?
Le malaise va grandissant quand on s'aperçoit que ces supers-héros (forts, intelligents, cultivés plus qui n'importe qui sur terre, connaissent 5 langues dont l'espéranto et toutes les théories en physique quantique, économie, philosophie et politique) ne rencontrent que des caricatures à l'extérieur, des gens gros, bêtes, avachis, sans sincérité... Pas un seul homme cultivé et raffiné, sincère et brave, résistant et néanmoins éduqué pour donner la contrepartie.
Du coup c'est facile de faire passer un ragondin pour un héro au milieu d'un peuple de rats manchots.
Les dialogues niais ne servent qu'à faire des raccourcis grossiers (dans les deux sens du terme) pour montrer combien cette famille est supérieurement intelligente, cultivée et tolérante face à nous autres pauvres hommes sociaux obligés de faire des sacrifices à la sincérité pour vivre en bonne harmonie entre nous.
On sent aussi que les scénaristes du film n'ont jamais eu d'enfant ailleurs que sur le papier. Dans ce monde magique, un père éduque seul 6 enfants dans un calme et une obéissance parfaite, chaque enfant vaque sagement à ses occupations, il peut même lire ou jouer de la guitare auprès du feu le soir entourés d'enfant silencieux devant leurs livres. C'est mieux que la petite maison dans la prairie et les Bisounours (qui n'ont pas de marmots eux). Et puis les 6 enfants sont tous des clones, ils adhèrent à tout, recopient tout, se comportent tous pareil. Ils auraient le même âge je ne saurai pas en distinguer un d'un autre. Et si l'un d'eux trouve quand même dommage de vivre si différemment des autres, la tyranie opère, sous couvert de tolérance. S'il parvient, seul, à convaincre un tribunal face à lui de changer d'avis, ils cjangeront d'avis. Non ? Pas assez doué pour faire ça ? Le voilà qui se plie à la volonté du DUX.
Cette famille donne un avant goût du soviétisme, manipulation psychologique en rab. Pourtant, ce sont eux les héros...