C’est en faisant des repérages pour un court-métrage que la réalisatrice Nadège Trebal découvrit la casse d’Athis-Mons au nord d’Orly. Ces centaines d’épaves de voitures lui ont fait penser à un décor apocalyptique et les hommes y passant leurs journées à des survivants : "C’est fascinant de les voir arpenter cet espace, de les voir apparaître, disparaître, pour réapparaître enfin… Il y a du hors-champ partout", raconte la cinéaste.
"La casse est le dernier stade de la société de consommation, un instantané de la désindustrialisation", commente Nadège Trebal. Finalement, observer ces hommes remonter des objets détruits et auparavant montés à la chaîne par d’autres individus, constitue une façon de boucler la boucle. Mais pour Trebal, il est surtout question d'une réflexion de la part des hommes de la casse qui doivent comprendre comment a été construit l’objet pour le remonter : "Quoi qu’en dise le titre, ce n’est pas de la casse que je filme, mais de la pensée."
Dans la Casse se côtoient badauds et pros. Certains viennent les weekends, de temps en temps, à la recherche d’une pièce détachée, et d'autres sont des professionnels s’approvisionnant de cette manière. Parmi eux, une grande partie travaille pour des garages et d’autres revendent les pièces à l’étranger.
Pour ce tournage de six semaines, le patron de la casse a accepté que l’équipe de Nadège Trebal s'installe sans aucune contrepartie. La réalisatrice a voulu rendre toute sa splendeur à cet endroit désordonné, à travers des moyens techniques de fiction. Autre élément important pour Trebal : ne pas cacher la caméra, pour que les hommes sachent qu’ils sont filmés. Une façon pour la réalisatrice "de leur signifier que leur travail était plus important que le film, que la vie est plus importante que le cinéma."
C’est en se promenant dans la Casse que Nadège Trebal et son régisseur sont naturellement entrés en contact avec les hommes qui y travaillent. Après l’hésitation et la peur de l’autre, la réalisatrice est parvenue à créer le dialogue.
Sibri et Oumar, l’un Burkinabé, l’autre Ivoirien, sont vite devenus les stars du film de Nadège Trebal. Peu à peu, en oubliant presque la présence de la caméra, les deux hommes se sont confiés, au-delà de leur travail à la Casse. Hors caméra, Oumar commença le récit de sa traversée "comme un comédien de stand-up (...) Il y avait cette envie de nous foudroyer, par le rire et l’horreur de ce qu’il avait vécu", se souvient la réalisatrice. Plus tard, lorsque Sibri conclut le récit de sa propre histoire face à la caméra, Oumar reprit la sienne, "mais d’une façon complètement différente, avec une sobriété et un sens du récit proche de la mythologie".
C’est par une véritable passion pour l’Homme que Nadège Trebal a filmé Casse. Et bien qu’ils vivent, pour beaucoup, dans des conditions difficiles, les images ne servent jamais à montrer une faiblesse. Au contraire, explique la réalisatrice : "Ils sont dans l’adversité, mais ils ne se laissent pas démonter". Leur travail est leur force, leur corps, "leur capital". C’est pour cela que le film s’ouvre sur un blues composé par Luc Meilland, qui met en valeur cette tendresse pour les hommes de la casse, beaux et forts, "aussi puissants par leur présence que des acteurs américains, des acteurs de fictions".