C'est en 2002 que le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako a fait ses premiers pas sur la Croisette. Son film "En attendant le bonheur" était présenté dans la sélection Un Certain Regard. 4 années plus tard, il était de nouveau à Cannes, "Bamako" faisant partie, hors compétition, de la sélection officielle. Cette année, c'est pour la compétition que Sissako est venu à Cannes, et on peut s'étonner que son film "Timbuktu" en soit reparti bredouille.
Pour un réalisateur africain comme Abderrahmane Sissako, pas question de galvauder les moyens dont il arrive à disposer, souvent difficilement, pour faire dans la banalité. Pour lui, un film africain doit avoir une portée universelle tout en racontant une histoire qu'on ne retrouvera nulle part ailleurs et qui interpellera les spectateurs. C'est un événement survenu le 22 juillet 2012 à Aguelhok, une petite ville au nord du Mali, qui a été pour Sissako l'événement déclencheur de "Timbuktu" : la lapidation d'un couple qui avait eu deux enfants sans, oh horreur, être « mariés devant Dieu ». Abderrahmane Sissako est donc parti sur la description d'une ville, Tombouctou, tombée sous la coupe de frappadingues islamistes venus d'un peu partout. Les habitants de Tombouctou essayent de résister comme ils peuvent aux nombreux interdits qui pleuvent sur eux et que ces hypocrites d'islamistes ont tellement de mal à respecter eux-mêmes qu'ils en arrivent à fumer en cachette et à parler de foot en catimini. Bien entendu, comme d'habitude, la pluie d'interdits est (un peu) plus fine pour les hommes que pour les femmes. A quelques encablures de Tombouctou, vit une famille touareg : ils vivent sous une tente, ils élèvent quelques bêtes, ils sont beaux, l'homme joue de la musique et, étant relativement éloignés de la ville, ils ne souffrent pas des interdits islamistes. Jusqu'au jour où …
Tourné en Mauritanie, à faible distance du Mali, "Timbuktu" est un implacable pamphlet contre l'intégrisme et son mélange d'hypocrisie, de tyrannie souvent ubuesque et de barbarie. Esthétiquement, le film est particulièrement réussi, la photographie de Sofian El Fani (celui là même qui était le directeur de la photographie sur « La vie d'Adèle ») sachant parfaitement mettre en valeur les couleurs du désert et des tissus. Avec intelligence, Sissako a su parsemer son film globalement tragique de scènes que l'on peut presque qualifier de comiques. L'une d'elle restera sans doute dans l'histoire du cinéma : les jeux de ballon sont interdits ! Qu'importe, les jeunes décident de se lancer dans un match de football sans ballon. Scène magnifique, émouvante, drôle et tragique à la fois. Il y a aussi des détails si ténus qu'ils peuvent passer inaperçus. Par exemple, lorsqu'un djihadiste fait arrêter la jeep dans laquelle il se trouve et se met à tirer à tout va vers la colline toute proche, vide de toute présence humaine. Sans raison, peut-on croire ? Sauf que, tout simplement, cet homme n'a manifestement pas apprécié le fait que la nature se soit mise à copier le corps nu d'une femme, des dunes faisant office de cuisses et les poils pubiens étant représentés par un buisson.
Vous l'aurez compris : "Timbuktu" est à la fois un film magnifique et important. Il est toutefois un peu dommage que la partie finale soit un tout petit peu longuette et se montre un brin trop didactique.