Pourquoi ce film n'a t-il pas eu la Palme d'Or? Pourquoi? Pourquoi avoir récompensé le film turc, qui ne manquait pas de certaines beautés mais était aussi prétentieux et ampoulé? Donner, enfin, une palme à un réalisateur africain, cela aurait eu de l'allure....
Le film d'Abderrahmane Sissako, en dehors de la force de son contenu, est d'une telle beauté.... ces dunes blondes, ponctuées d'arbustes au vert grisé; ces paysages que le vent chargé de sable rend toujours imprécis, comme saupoudrés d'une fine couche de poudre d'or, un maki-e fait par la nature....
Et puis il y a la rivière, là où le drame va se nouer, si lente, si tranquille, avec ses longues barques d'où le pêcheur pose ses filets, une atmosphère toute de sérénité qui rappelle la grâce et l'harmonie de certains films vietnamiens. Comme ces troupeaux de vaches à bosse, aux longues cornes effilées, si élégantes.
Le film s'ouvre et se clôt sur l'image d'une gazelle, poursuivie par une horde en 4X4. Ils ne veulent même pas la tuer: ils s'amusent juste à la terroriser...
Et les gens aussi sont beaux! cette famille d'éleveurs touareg qui vit sous une tente, à l'écart du village, avec le petit berger, un orphelin (chez les touareg qui ont le sang chaud sous leur calme apparent, il semble qu'on meure jeune...). Kidane, le père (Ibrahim Ahmed); Satima, la mère (Toulou Kiki); Toya, la petite fille de douze ans (Layla Walet Mohamed). Oui, tous si beaux, avec la lente dignité de leur gestuelle, s'inscrivant si justes, si naturels dans le paysage.
Dans la ville bambara, l'atmosphère est différente, bien sûr; que de charme aussi dans ces ruelles tortueuses, entre les maisons de pisé. l'atmosphère devait être joyeuse, jusqu'au jour où débarquent les djihaddistes venus d'on ne sait où, qui s'auto-proclament maîtres de la ville. Plus de cigarettes, plus de musique, plus de football; les femmes doivent porter chaussettes et gants; les hommes, par contre, doivent retrousser leur pantalon au dessus des chevilles (?).
Ils résistent, comme ils peuvent, ils font front. La marchande de poisson tient tête: comment on peut vendre du poisson, hein, avec des gants? Les ados organisent une partie de foot mimée, sans ballon -un des moments magiques du film. Une jeune fille condamnée à cinquante coups de fouet pour avoir chanté tente, désespérément, de reprendre une chanson sous la douleur du supplice. Il y a aussi la Haitïenne (Kettly Noël) que fait elle là? qui se promène en robe bariolée et longue traine, des nœuds dans les cheveux à la place du voile, son coq sur l'épaule..... elle doit être un peu sorcière vaudou, car on ne la touche pas. La justesse, la personnalité, la vie de tous ces protagonistes sont magnifiques.
Jusqu'au jour où un couple adultère est enterré, jusqu'aux épaules, et lapidé.... où les fillettes sont contraintes à des mariages forcés avec des djihaddistes... L'iman local résiste, comme il peut -mais que peut-il? Le chef djihhadiste dit la loi, fait la loi, tant religieuse que civile.
Cette troupe est hétéroclite. Personne ne parle le tamascheq, en tous cas. L'un d'entre eux, qui veut une jeune fille, ne peut communiquer qu'en anglais... Les interprètes sont omniprésents. Et il y a même un français, Abdelkrim (Abel Jafri), hélas! Comment en est il arrivé là? Il semble qu'il ait été danseur, dans une autre vie... En tous cas, c'est l'élément douteux de la troupe; il fume en cachette et aimerait bien se faire Satima, mariée ou pas (décidemment, notre réputation de branleurs nous suit partout!).
On ne va pas vous raconter l'intrigue, naturellement; mais il faut insister sur le fait qu'en dehors du message politique qui met en lumière des faits récents, c'est un magnifique film, tout simplement. Ce n'est pas un documentaire: c'est du grand cinéma. Le film de la saison, en tous cas, c'est certain.