La première chose à dire sur le film de Sissako, c’est qu’il faut indéniablement un courage chevillé au corps pour monter, tourner et promouvoir un film sur un sujet aussi douloureusement d’actualité. Il faut un courage physique pour tourner à quelques milliers (peut-être même quelques centaines) de kilomètres des vraies exactions des milices djihadistes, il faut du courage pour trouver des acteurs qui acceptent de tels rôles, en résumé, il faut du cran pour faire ce genre de cinéma en Afrique aujourd’hui. C’est surement cela, en plus des qualités intrinsèques du film, que l’Académie des Césars a voulu honorer, et je le comprends parfaitement. Maintenant, le film en lui-même ne manque ni de qualités, ni d’intérêt, même si je regrette de devoir écrire qu’il a aussi un scénario fragile, qu’il manque de fil directeur, d’une vraie histoire qui lui donnerai une sorte de colonne vertébrale. Mais commençons par ses qualités : d’abord, c’est un film court qui a le bon gout de ne pas tomber dans un excès ou un autre. Pas de scènes trop appuyées (l’unique scène de lapidation, croyez-moi, n’a aucunement besoin d’être appuyée par quoi que ce soit, elle n’a pas besoin d’être interminable pour être abominable), pas de voyeurisme, pas vraiment de manichéisme non plus et c’est peut-être le plus étonnant. Les djihadistes de « Timbuktu » sont montrés pour ce qu’ils sont, des hommes aveuglés par une foi complètement dévoyée, des mecs paumés qui pensent trouver dans l’Islam une raison de vivre mais surtout un pouvoir malsain sur le commun des mortels. Le plus bel exemple est ce jeune, visiblement issu d’une banlieue française, ancien rappeur, qui à l’air tellement peu à sa place parmi les miliciens qu’il fait presque pitié. J’ai dit « presque » pitié… Ils sont en proie à leur petits vices perso : l’un se cache pour fumer, les autres sont visiblement fan de foot européenn alors qu’ils interdisent à tout le monde d’y jouer, il traque la musique mais sont désemparé quand ils entendent de le musique chantant les louanges d’Allah («Qu’est ce que je fais, je l’arrête ? Allo… chef, qu’est ce que je fais ? »), tout autant de preuves qu’il n’y a aucune cohérence dans leur message, qu’ils sont incapables eux aussi de respecter à la lettre leur propres directives. Bizarrement, le film ne manque pas d’humour, un humour un peu désespéré certes mais quand même : une partie de « air football » sans ballon, une vidéo de propagande qu’on n’arrive pas à tourner parce qu’on est mauvais acteur (ou moyennement convaincu !), un humour qui disparait complètement dans la deuxième moitié du film. La réalisation est très belle, les paysages et la ville magnifique de Tombouctou n’y étant pas pour rien. Il y a des plans très beau, assez longs, esthétiquement très réussi, comme Kitane rejoignant l’autre rive du fleuve après le drame. Les acteurs, qui sont nombreux car le casting est pléthorique, nous sont tous évidemment inconnus, mais ils sont excellent. Certains néanmoins sortent du lot comme Abel Jafri, Ibrahim Ahmed et Toulou Kiki. Sissako a voulu son film comme une sorte de carte postale de la ville de Tombouctou sous domination islamiste (elle ne l’est plus aujourd’hui, rappelons-le quand même…), son film est à la limite du documentaire et de la fiction. Le soin apporté aux problèmes de dialectes par exemple, est remarquable car il ne tombe pas dans la facilité qui aurait consisté à leur faire tous parler la même langue pour donner du rythme à son film : personne ne parle la même langue, ni le même dialecte, au Mali comme dans beaucoup de régions d’Afrique subsaharienne, cela donne des scènes surprenantes à deux voire trois interprètes ! Mais voilà, le film de Sissako a un défaut scénaristique qui ne rend pas son abord très facile : il met un temps fou à trouver sa voie. Dans la première moitié, on ne voit pas où il veut en venir, il n’y a pas de vraie intrigue : les scènes se succèdent sans véritablement de fil conducteur, certaines paraissent presque incongrues. C’est seulement à partir du moment où le drame intervient dans la vie de Kitane (et on le voit venir de loin…) qu’on comprend où il veut en venir et qu’on devine comment çà va inévitablement finir. Je regrette aussi que certaines scènes ne soit pas suivies d’effets : l’otage occidental qu’on s’échange au début, que devient il ? Cette adolescente mariée de force à un type qui ne parle même pas sa langue, que devient-elle ? Ses sujets là aussi méritaient d’être un tout petit peu développés et c’est frustrant de voir Sissako se disperser ainsi. La seconde moitié est beaucoup plus dure et violente, ces djihadistes qui nous ont paru ridicules au début se révèlent n’être que ce qu’ils sont, des bourreaux. La fin est un peu bizarre, un peu abrupte, un peu déconcertante aussi et la lumière se rallume dans un silence de plomb qui met mal à l’aise.