Attention à ne pas prendre le film pour un documentaire animalier sur les dragons du Komodo ou autres iguanes géants ! Le titre du film vient de l'image du grand dragon comme gardien du savoir universel et non d'un animal réel. Il s'agit en réalité du voyage effectué par les deux réalisateurs à la rencontre des populations amazoniennes, sans scénario préparé, construisant le film au fur et à mesure des rencontres des plus diverses. El Gran Dragon donne ainsi la parole tant aux jeunes chamans de la forêt qu'aux scientifiques qui étudient la bonne utilisation qui pourrait être faite de la médecine naturelle. Le dragon n'est autre que celui qui transporte au fil de l'histoire les connaissances de chacun, à sauvegarder de la mondialisation.
Gildas Nivet est bien plus que le réalisateur d'El Gran Dragon : il en est la colonne vertébrale. En effet, il produit le film via son studio Grenouilles Productions, participe également à la post-production, à l'enregistrement et au montage de son du long-métrage. Tristan Guerlotté travaille lui aussi chez Grenouilles Productions et double sa casquette de co-réalisateur avec celle de superviseur de la post-prod.
Avant de sortir le film dans les réseaux de distribution, El Gran Dragon fut projeté en extérieur, dans les villes et villages péruviens qui avaient été filmés lors du tournage. Un mois de voyage à travers le pays et seize projections sont organisés pour ceux qui ont permis la construction de ce documentaire. On débat du film après chacun des visionnages : beaucoup reconnaissent utile le film pour l'urgence du propos qu'il tient et certains regrettent qu'il n'y ait pas le point de vue du Péruvien lambda, qui ne consomme pas de médecine traditionnelle. Mais tous apprécient l'effort que firent des étrangers pour faire connaître une partie du patrimoine péruvien que beaucoup d'entre eux ne connaissaient pas ou mal.
Le film se penche notamment sur une plante reconnue comme une drogue hallucinogène, l’ayahuasca. La médecine traditionnelle se propose de l'utiliser pour ses propriétés curatives mais les chamans s'en servent également lors de rituels dans les tribus amazoniennes. Bien que sa toxicité et son addiction ne soient pas prouvées, beaucoup de médecins occidentaux rejettent son utilisation car elle entraîne divers symptômes dont des vomissements et une augmentation du flux sanguin. L'un des protagonistes du film explique par ailleurs que l’ayahuasca est devenue une drogue touristique au Pérou, vendue à tous les coins de rue et fabriquée par le premier venu, alors que la liane nécessite une préparation spécifique et qu'elle devrait être utilisée pour la médecine et non comme un quelconque substitut de LSD. Le documentaire se tient quant à lui à montrer la plante de façon neutre, sans faire aucune propagande sur son utilisation.
Le cinéma s'est déjà penché, par le passé, sur cette étrange liane que l'on trouve dans la forêt amazonienne. Dean Jeffreys sort par exemple un moyen-métrage en 2001 intitulé "Chamans de l'Amazone". Il part à la rencontre des chamans spécialisés dans la préparation du breuvage hallucinogène afin de mieux comprendre l'expérience qu'ils vivent après son absorption. Armand Bernardi et Jan Kounen réalisent aussi chacun un documentaire sur cette plante, l'un à travers la quête psychothérapeutique d'un toxicomane, l'autre dans une démarche plus proche de celle de Nivet et Guerlotté, en allant à la rencontre des scientifiques et chamans habitués au contact de la "liane des esprits" dans son film intitulé D'autres mondes. Par ailleurs, des films de fiction comme Blueberry, toujours de Kounen, et Au-delà du réel, de Ken Russel, utilisent les pouvoirs de la plante dans leur intrigue pour intégrer des séquences de rêves, de découverte des origines ou d'hallucinations fantastiques.
El Gran Dragon ne cherche pas à apitoyer le spectateur devant le manque de soins "modernes" auxquels ont accès les populations rurales péruviennes, comme il ne souhaite pas non plus tout résoudre par la médecine traditionnelle. Mais il s'attache à recouper différents messages qui touchent ces peuples, qu'il s'agisse de la déforestation, du tourisme chamanique, de la disparition d'un patrimoine culturel et médicinal ou de la protection de la faune et flore amazonienne. Tout se recoupe au travers de l'usage de la médecine traditionnelle mais le cri d'urgence va au-delà.
Gildas Nivet est un habitué du documentaire. Il a participé, avant de mettre en route El Gran Dragon, aux 100 Jours (2012), festival documentaire proposant un film par jour. Celui de Nivet, "+23", revenait sur la solitude intellectuelle et à la stérilité des propos que l'on tient dans notre société actuelle. Ce besoin de revenir à l'essentiel se fait encore plus sentir dans El Gran Dragon puisque le film touche une population qui aborde le quotidien en accord et dans le respect d'une biodiversité environnante.