Muse d'Ingmar Bergman, la Suédoise Liv Ullmann, signe avec Mademoiselle Julie son grand retour derrière la caméra. Mise à part quelques apparitions en tant qu'actrice dans le documentaire Liv & Ingmar (2013) et le thriller politique D'une vie à l'autre (2014), il aura fallu patienter quatorze ans depuis son dernier film, Infidèle (2000), pour qu'elle livre son quatrième long-métrage de cinéma.
En adaptant la pièce de Strindberg, la réalisatrice Liv Ullman concrétise une envie de longue date, car elle rêvait, étant jeune, d’incarner le personnage de Mademoiselle Julie sur les planches. Elle détaille le rapport étroit qu’elle entretient avec la pièce : "Dès que j’ai commencé à travailler sur l’adaptation, je me suis régalée, non seulement par ce que Strindberg avait écrit, mais aussi par des motifs qui m’importaient personnellement : être vue ou demeurer invisible, donner une image de soi qui ne correspond pas à ce que l’on est vraiment, être aimé pour soi-même et non pour ce que les autres voient en vous, les rapports de sexes, les crises qui en découlent."
Mademoiselle Julie traite de l’amour impossible face aux normes sociales, thème cher à la réalisatrice déjà évoqués dans Sofie (1992) et Kristin Lavransdatter (1995).
A l'origine, la réalisatrice norvégienne Liv Ullman avait porté son choix sur l'actrice Michelle Williams pour interpréter l'aristocrate Mademoiselle Julie, mais la comédienne a dû décliner la proposition pour cause d'emplois du temps trop chargé. La cinéaste a finalement opté pour son second choix, Jessica Chastain : "Il a suffi que je rencontre Jessica Chastain une fois à Los Angeles pour m’apercevoir que nous étions sur la même longueur d’onde : elle était venue préparée et avait d’emblée imaginé la façon dont elle allait jouer la scène de l’oiseau à la fin, c’était saisissant !"
Inspirée de la pièce de théâtre "Mademoiselle Julie", écrite par le Suédois August Strindberg en 1888, cette fulgurante passion entre une noble et le valet de chambre de son père a déjà fait l'objet de nombreuses adaptations. En effet, sans compter celles portées sur les planches et le petit écran, la version de Liv Ullmann s'affiche comme la quinzième adaptation cinématographique de la pièce de Strindberg, la dernière en date étant celle de Mike Figgis en 1999, avec Saffron Burrows et Peter Mullan.
Pour répondre aux exigences des producteurs, qui demandaient que le film soit tourné en anglais, Liv Ullmann transposa l’histoire dans un pays anglophone, l’Irlande, par souci de cohérence avec la langue choisie : "Cela aurait pu se passer en Angleterre, mais j’ai pensé que l’affrontement des classes sociales dans la pièce était plus proche de l’Irlande à la même époque. Même les différentes façons de parler – le langage des maîtres et celui des domestiques – semblaient offrir un parallèle intéressant", raconte la réalisatrice.
Le tournage de Mademoiselle Julie a débuté en avril 2013 et a été intégralement filmé dans l'enceinte du château de Coole, un manoir situé dans le comté de Fermanagh en Irlande du Nord.
Contrairement à la pièce de Strindberg et aux adaptations cinématographiques précédentes, Liv ullmann a tenu à représenter l’isolement total des personnages dans son film.
Liv Ullmann a choisi Mikhaïl Krichman comme directeur de la photographie, car elle le considére comme "un peintre de lumière". Il a travaillé la lumière du film de manière à ce qu’elle joue un rôle dramatique : "Lorsque l’espoir s’évanouit et que l’horreur s’installe, les visages sont éclairés différemment, de façon plus crue, moins flatteuse. Il a également fallu préparer soigneusement les éclairages à la bougie, dans l’obscurité de la cave qui reflète la part sombre des personnages", explique la cinéaste.
La réalisatrice joue avec les formes théâtrales sans complexes, donnant ainsi une leçon de cinéma aux jeunes générations. Elle s’exprime sur la question : "Quelles règles absurdes décideraient-elles ce que doit être ou non le cinéma ? Nous sommes dans le noir, face à des personnages, comme au théâtre, ce qui ne m’effraie pas du tout. Car nous avons la possibilité de faire des gros plans, mais aussi de suivre avec fluidité des personnages dont les comportements, les gestes, les façons de se mouvoir sont très typiques de leur époque. C’est peut-être un effort que je demande aux jeunes générations, habituées à un montage saccadé, c’est leur droit et je ne dis pas qu’ils ont tort, mais en quoi cela serait-il plus cinématographique que les œuvres des grands réalisateurs classiques qui m’ont formée ?"
Par souci de modernité, Liv Ullmann a coupé quelques passages de la pièce, l’intérêt étant de montrer son caractère universel. Elle est d’avis de dire que les affrontements de classes et de sexes décrits par Strindberg restent d’actualité aujourd’hui : "L’incompréhension et la difficulté de communication véritable entre hommes et femmes sont renforcées par l’illusion que grâce aux téléphones portables ou à l’ordinateur, tous ces problèmes sont résolus. On n’écoute pas vraiment l’autre, c’est ce que Strindberg nous dit. Les personnages ne demandent qu’à se confier, mais ils ne sont pas entendus et restent seuls… comme nous avec nos téléphones !"