Considéré comme l’un des meilleurs films du début de la carrière d’Alfred Hitchcock, Les 39 Marches est aussi celui qui lui offre une véritable réputation internationale, en particulier aux Etats-Unis, un an après le succès respectable mais limité à l’Europe de son dernier long-métrage, L’Homme qui en savait trop.
Fervent lecteur de John Buchan, auteur canadien de nombreux romans d’espionnage, Hitchock adapte en 1935 son roman le plus connu, Les 39 Marches. Le scénario, adapté par Charles Bennett, connu pour avoir participé à plusieurs de ses films au cours des années 1930, s’inspire très librement de l’œuvre originelle. C’est notamment le cas avec l’organisation secrète des 39 Marches, d’obédience nazie, un choix scénaristique qui fait écho à la montée en puissance contemporaine du nazisme en Allemagne que Buchan n’a donc pas pu connaître. Le personnage de Pamela est également une invention faite pour le film.
Bien que Les 39 Marches soit le second film parlant du maître du suspense, il s’agit avant tout du premier à mettre en œuvre les ficelles du célèbre univers hitchcockien, dont la présence de la première blonde hitchcockienne, Madeleine Carroll, souvent séduisante et parfois méprisable. De toute évidence, il est aussi un modèle pour des fictions postérieures, que ce soit des mains d’Hitchcock lui-même (Jeune et Innocent, Correspondant 17, Cinquième Colonne et La Mort aux trousses) qui reprend notamment l’intrigue de l’homme banal accusé à tort et contraint de fuir, mais également de celles d’autres cinéastes, comme Ralph Thomas et Don Sharp, qui en font chacun un remake, respectivement en 1959 et en 1978.
L’écriture du scénario est également l’une des plus élaborées de sa période anglaise. D’entrée de jeu, l’action démarre dans un coup de feu et une panique générale, entrainant la foule vers la sortie et le spectateur dans les filets tendus par Hitchcock. Les situations invraisemblables sont récurrentes au fil du scénario, dont l’intrusion de l’espionne anglaise dans l’appartement de Richard Hannay et la présence miraculeuse d’un petit exemplaire de la Bible dans la poche d’une veste. Au sujet de ce dernier élément, l’historien du cinéma Bernard Eisenschitz souligne sa présence antérieure dans Les Espions (1928), de Fritz Lang, qui est probablement l’une des inspirations majeures du réalisateur anglais. Quoiqu’il en soit, ces situations sont appréciées par les surréalistes et ont au moins le mérite de faire rêver le spectateur et de le surprendre. Le perfectionnement du scénario s’incarne également à travers le recours à un « MacGuffin », un terme conceptualisé par Hitchcock et qui fait sa première apparition dans sa filmographie. Il définit un élément particulier de l’intrigue qui procure un levier narratif, mais qui se révèle souvent sans utilité par la suite. En fait, c’est un simple prétexte pour faire évoluer le film vers un nouveau développement. Ici, il s’agit de plans qui semblent être dérobés.
A l’écran, Les 39 Marches profite des interprétations travaillées de Robert Donat, au flegme typiquement britannique, et de Madeleine Carroll, le premier d’une longue série de couples hitchcockiens. Peu présente mais indispensable pour l’intrigue, Lucie Mannheim interprète l’espionne Annabella Smith, traquée par des agents nazis, une situation étrangement analogue à celle de l’actrice, contrainte de quitter l’Allemagne face à la montée du nazisme.
Les 39 Marches définit les codes hitchcockiens et présente un scénario particulièrement travaillé, avec un rythme et des éléments que l’on retrouve dans ses productions plus tardives. On trouve déjà ce souci du détail, caractéristique du cinéaste, dont l’air qui trotte dans la tête de Hanney et la phalange coupée, élément qui permet d’identifier le principal antagoniste. Les nombreuses invraisemblances du scénario sont acclamées par les uns, décriées par les autres. On peut par exemple s’étonner de « Monsieur Mémoire », qui possède d’extraordinaires facultés de mémorisation mais dont la loyauté laisse grandement à désirer, puisqu’il suffit de lui poser la question pour qu’il vous révèle tout bonnement et simplement les secrets les plus enfouis de l’organisation secrète, et ce devant une foule de spectateurs.