Erwin Wagenhofer signe son troisième documentaire appartenant à une trilogie entamée en 2005 avec We Feed the World - le marché de la faim, où il dénonçait la quantité de nourriture gâchée dans le monde entier alors que celle-ci est encore consommable. Le réalisateur poursuit sa dénonciation du fonctionnement de notre planète en 2008 avec Let's Make Money, où il suit le trajet qu'effectue l'argent de chacun dans le système économique mondial. Aujourd'hui, il revient avec le film Alphabet, une critique du système éducatif qui prône la compétition entre les élèves.
Le tournage d’Alphabet a été un travail de longue haleine. Commencées en juin 2011, les prises de vues se sont achevées un an et demi plus tard. Le choix des intervenants s’est fait depuis le départ et s’est montré éclectique : un expert international sur l’éducation (Sir Ken Robinson), des professeurs ou chercheurs (Yang Dongping, Gerald Hüther, Arno Stern, Andreas Schleicher, Pablo Pineda Ferrer), un directeur des ressources humaines (Thomas Sattelberger) et même un musicien aussi journaliste (André Stern).
C’est en observant l’agitation caractéristique de la City de Londres (une des places financières majeures mondiales) qu’Erwin Wagenhofer a eu l’idée de son nouveau long-métrage. A la fin du tournage de son précédent documentaire Let’s Make Money en 2008, Wagenhofer s’est demandé comment des personnes formées aux meilleures écoles du monde pouvaient être responsables d’une crise mondiale : "Si c’est à cela que conduit la meilleure éducation formelle, alors il y a vraiment quelque chose qui cloche : c’est de ce constat qu’est née l’idée du film."
Contrairement aux apparences, Erwin Wagenhofer n’a pas cherché avec Alphabet à remettre en cause un système scolaire vu comme dysfonctionnel. Son approche englobe une pensée plus large : "Alphabet n'est pas un film sur l'éducation, c'est un film qui parle d'attitude. De l'attitude qui définit l'éducation. C’est dans cette attitude que réside le problème – et sa solution."
Pour le documentariste, les matières enseignées à l’école (comme la lecture, l’arithmétique ou l’écriture) sont des "techniques culturelles" qui "s’acquièrent en jouant", en gardant intact la curiosité. Pour qu’une société parvienne à grandir et à s’émanciper, il faut que chacun se cultive en dépassant ces techniques : "quel homme devient celui qui parle cinq langues mais n’a rien à dire ?"
Défendant la vision subjective du documentariste dès We Feed the World, Erwin Wagenhofer voit "l’opinion personnelle" comme une solution à la crise traversée par le monde occidental : "Crise vient du grec krisis qui signifie opinion, décision. Si nous voulons être une société vivante, alors il nous faut justement une pensée, une opinion qui sorte des sentiers battus."
Parmi les participants, on trouve un professeur d’école qui n’est pas étranger au monde du cinéma : Pablo Pineda Ferrer a été le premier européen atteint du syndrome de Down (aussi connu sous le nom de trisomie 21) à avoir obtenu un diplôme universitaire. Une différence qui l'a poussé au devant de Yo, También, histoire d’amitié entre un travailleur de centre social (incarné par Ferrer) et une jeune femme indépendante jouée par Lola Duenas.