Leones : les secrets du tournage

Le décor devient un réel personnage dans Leones : il est dépourvu de formes humaines et n'a pas d'âge. Ainsi, il aurait pu exister à l'identique mille ans plus tôt : "L'idée était de représenter un paysage mental, un pur produit de l'esprit, et il me fallait donc trouver un lieu qui ne soit pas du tout identifiable. Un lieu qui (...) puisse être lui-même, en  quelque sorte, un personnage. C'est un procédé presque hitchcockien : il fallait que la nature, et la caméra en sachent plus que les personnages. Et qu'une relation plus forte s'établisse entre le film et les spectateurs, qu'entre le film et les personnages", confie la réalisatrice Jazmín López.

Jazmin Lopez a tourné avec une caméra 35 mm qui a l'avantage de rendre le noir plus profond qu'avec le numérique. La pellicule lui donne le sentiment d'être en contact direct avec la nature, ce qui était son but avec Leones, le long métrage ayant été tourné exclusivement en lumière naturelle. Elle raconte : "Pour ces plans séquences, je définissais généralement un trajet, pour les acteurs et pour [le chef opérateur], en leur donnant seulement quelques indications : les gestes que j'attendais d'eux, les objets qui devaient être visibles dans le plan... Dans ce cadre défini par un point de départ et un point d'arrivée, les acteurs et Matias étaient libres de faire ce qu'ils voulaient. Mais au final les choses étaient tellement chorégraphiées qu'il ne leur restait qu'une marge de manoeuvre très réduite..."

Jazmin Lopez a tout caché de la signification de Leones à ses acteurs, pour faire en sorte qu'ils adoptent un jeu animal et instinctif. Par ailleurs, ils ne faisaient qu'un pendant le tournage, chaque personnage représentant une facette d'une même personnalité et décrivant un aspect particulier de l'adolescence. Par ailleurs, le film a été tourné de façon chronologique et les acteurs ont tout découvert au fur et à mesure : "Cela s'est avéré très productif. Quand le personnage d'Isabel pleure dans la voiture, par exemple, l'actrice était authentiquement émue par ce moment-là", raconte la cinéaste.

La réalisatrice se sent proche des cinéastes Lisandro Alonso et Albert Serra : "Ces films m'intéressent parce qu'ils donnent le sentiment d'un voyage intérieur, d'une trajectoire purement mentale, alors même que leur trajet se déroule dans la nature. Ce sont des films où le décor est essentiel, et qui pourtant pourraient se passer n'importe où."

La scène de volleyball de Leones fait clairement référence à celle de fin de Blow Up de Michelangelo Antonioni. La réalisatrice confie qu'en visionnant cette scène pour la première fois, elle a eu l'impression de comprendre l'essence même du cinéma. Pourtant, les deux scènes ne sont pas les mêmes : "La scène a une intention différente : je voulais montrer l'incompréhension du personnage d'Isabel, le sentiment qu'elle a de se sentir déconnectée des autres, de les perdre. C'est elle, au fond, qui ne voit pas la balle..."

C'est la chanson "Do you believe in rapture ?" du groupe Sonic Youth qui clôture Leones : "Do you believe in rapture ? me semblait très adapté. D'abord par son mélange de douceur et de rugosité, par la rupture qu'amène l'entrée de ces guitares très saturées. Ensuite parce qu'il évoque l'idée d'une seconde chance, et que j'aime voir, dans l'image d'Isabel s'avançant dans l'océan, l'idée d'un retour à la vie, d'une opportunité d'échapper aux limbes. Mais ce n'est bien sûr que mon interprétation, et elle est par nature moins bonne que n'importe quelle autre...", explique Jazmín López.