« Qu’est-ce que nous avons fait ? »… Ainsi se terminait le second (et très brillant) volet de la trilogie du Hobbit. Smaug, déployant ses grandes ailes et son museau carnassier, se dirigeait vers Lacville avec la ferme intention de détruire le village des ses feux. D’emblée, ce dernier voyage commence avec cette attaque : effets spéciaux époustouflants, flammes incessantes, le dragon massif immensément réaliste… Tout réussit pour l’instant au code d’honneur de Peter Jackson : « Un dernier voyage implique forcément une ribambelle d’images de synthèse pour que je puisse dire adieu sans décevoir quiconque ». Manque de chance, c’est exactement ce qu’il fait. Si on savoure bien la première séquence durant laquelle le réalisateur donne l’impression de vouloir vite se débarrasser de son lézard géant, on s’hasarde ensuite à qualifier le scénario d’ « inexistant » ou de « secondaire », voir d’ « optionnel ». En effet, il est semblable à un puzzle, avec quelques pièces manquantes qui ne reviendront pas et les principales qui resteront ; le plus étonnant, c’est que l’histoire semble bâclée au possible : on énonce rapidement la raison d’une guerre puis on se plonge ensuite dans une bataille de plus d’une heure, où se mêlent cris, combats et sang. Certes, un des points forts de cette trilogie est particulièrement sa (très) grande palette de possibilités numériques concernant les scènes d’action… mais Le Hobbit n’est pas qu’une simple affaire de barbarie, c’est aussi un univers vaste où s’égare l’esprit humain dans le fantastique qui y règne, un monde rempli de mystères, de créatures anthropomorphisées et de personnages humains. Ici, le film n’utilise que la violence pour représenter la Terre du Milieu. Thorïn dit : « Je veux la guerre ». Il l’a. Mais qu’en est-il de la philosophie de l’univers ? Trouve-t-on une once de paroles bien pensées, ou de psychologie ? Franchement, le film souffre en échanges verbaux et en complexités des mentalités de ses personnages, et leur fait faire une guerre pas très logique. Un paradoxe immense règne sur ce film : on y ajoute deux personnages (Tauriel et Thranduil) et on ne parvient pas à densifier les esprits des protagonistes. Dommage pour un projet si ambitieux… finalement assez classique.
Cependant, il est impossible de qualifier La Bataille des Cinq Armées de « navet » ou d’ « adieu ridicule ». C’est d’un bon sentiment que part Jackson : se sachant au bout du chemin, il souhaitait mettre les bouchées doubles en effets spéciaux, offrir un bon divertissement à ses fans, avant de s’en retourner sur d’autres productions, car il a laissé entendre qu’il voulait mettre un terme aux adaptations des œuvres de Tolkien. Non, la mise en scène est classique, la musique contribue fortement à l’ambiance, retrouvant sa place originale, et le romanesque typique d’une fin de saga est bien présent, notamment à la fin, qui renoue parfaitement avec les évènements du Seigneur des Anneaux. Les séquences de la bataille sont réalisées spectaculairement, mais on est déçu de la manière si prompte dont le dragon meurt (Benedict Cumberbatch était irréprochable en motion-capture et sa voix grave était impériale).
En fait, ce qui manque réellement à ce film, c’est de l’humanité. Car enfin, cette guerre, qui semble avoir pour but de divertir, vulgarise totalement la violence, en vient à la transformer en ce pâté hollywoodien propre au marketing, associé au Dieu Dollar. Des têtes coupées, des coups de marteau, de hache, d’épée, des charges de béliers et de Wargs (loups mutants), on ne voit que ça. Ajoutons à cela une histoire d’amour doucereuse entre une belle elfe (Tauriel) et un Nain, une infidélité parfois flagrante au livre original, et voilà, la soupe est prête.
Avec tous ces éléments, on peut se demander ce qu’on retient de l’ultime volet de la Terre du Milieu… Il est vrai que, cinématographiquement parlant, il est assez médiocre, mais, compte tenu de la méticulosité avec laquelle Jackson a signé sa démission, en déchaînant toute une avalanche de monstres, de cascades, de combats, on lui doit quand même une fière chandelle : on se divertit. Cependant, il se détourne des réflexions des personnages du Seigneur des Anneaux afin de présenter sur un plateau étincelant un magnifique bijou de technologie orné d’un diamant fade qui lasse le spectateur rien qu’en le regardant. Quel avenir pour Tolkien ? Mystère. En tout cas, il a bien permis d’offrir durant ces dix ans de superbes divertissements de cinéma... même si le dernier perd en âme.