Les adaptations cinématographiques ou télévisuelles des romans de John le Carré ont toujours émergées à intervalles plus ou moins régulières, même si l’on constate que c’est une tendance qui s’est accentuée depuis le début des années 2000. Par manque d’inventivité de la part d’Hollywood peut être, qui se sent obligé d’aller piocher dans les succès de la littérature pour faire son beurre. Trouvant dans les récits d’espionnage de le Carré, une base solide pour des thrillers sophistiqués qui attireront le public. Cette année, on a déjà eu droit à une adaptation de le Carré sur petit écran avec la minisérie The Night Manager, qui s’est révélée efficace mais un peu lisse et qui valait surtout pour son casting prestigieux. Des qualités et des défauts que l’on retrouvera aussi dans Our Kind of Traitor, adapté du roman du même nom.
Le scénario est confié à Hossein Amini, qui à notamment scénarisé le culte Drive, et on constate que la trame principale du roman de Le Carré a été assez respecté, même si quelques rajouts ont été fait pour moderniser l’intrigue mais globalement les ressorts narratifs sont similaires. C’est donc une adaptation plutôt correcte mais qui manque de prise de risque, et c’est un peu ce qui sera le principal défaut de l’ensemble. Que ce soit dans le traitement des personnages ou du fil narratif, on restera en surface des choses, rien ne sera plus complexe que ce qu’il semble être. Les personnages resteront donc dans leurs stéréotypes et ne connaîtront aucune évolution psychologique, imposant le tout comme très manichéen, les méchants sont très méchants et les gentils sont nobles et honorables. Pourtant il y a quelques tentatives pour nuancer le personnage principal, notamment quand il est question de sa vie de couple et de ses adultères mais elles sont très vite reléguées au second plan. On regrette surtout que le récit cède aux facilités scénaristiques pour créer des enjeux dramatiques, surtout lors du dernier acte où il force une scène de tension grâce à un élément qui sort de nulle part et qui est très artificiel. L’écriture manque parfois de rigueur et mise un peu trop sur l’indulgence de son spectateur pour faire passer certains développements mais par manque d’enjeux vraiment conséquents, ce sont des maladresses que l’on repère vite. Après il faut reconnaître que l’on arrive malgré tout à se prendre au jeu, que même si c’est une intrigue de surface, elle parvient à nous divertir pendant près de deux heures, sans qu’on se laisse endormir par sa prévisibilité ou son aspect ronflant.
L’intérêt viendra en grande partie du casting irréprochable du film. Les acteurs se donnent à fond pour éviter de tomber dans trop de caricatures et pour maintenir éveillé l’intérêt du spectateur. Même si on peut regretter le manque d’alchimie entre Ewan McGregor et Naomie Harris, les deux acteurs s’en sortent plutôt bien dans la manière de composer leurs personnages. Naomie Harris est légèrement plus effacée au sein de l’histoire mais Ewan McGregor est très convaincant en « héros » du film. On restera cependant plus impressionné par la performance tout en finesse et en émotion de Stellan Skarsgård, qui excelle dans chaque scène et qui vole vraiment la vedette. Damian Lewis n’est pas en reste non plus et prouve que c’est un acteur sur qui on pourra compter. Peu importe ses rôles, il arrive toujours à trouver le moyen de briller et ça fait plaisir de le voir dans un rôle aussi important au cinéma.
La réalisation est techniquement impeccable. La photographie est très élégante dans le traitement de la couleur et des effets de lumières apportant quelque chose de doux et de très agréable à l’œil qui va de paire avec une mise en scène sophistiquée de Susanna White. Elle abuse parfois d’effets de flou qui ont un côté très tape-à-l’œil pour pas grand chose mais qui souligne une véritable envie de dynamiser le récit. C’est très maîtrisé, propre et carré, mais ça reste un peu lisse car on constate un manque de prises de risque et de fulgurances qui pénalisent le tout. On a un peu un sentiment de pilotage automatique qui trahit une approche impersonnelle et fonctionnelle plus qu’une véritable envie de faire un thriller stylisé. Néanmoins, l’ensemble est énergique grâce à un rythme géré à la perfection par un montage habile et accompagné à merveille par un score musical entraînant et plus inspiré qu’on pourrait le croire. Donc à défaut d’être mémorable, le film est visuellement accrocheur et montre que Susanna White est une faiseuse d’images assez habile. Et que si elle arrivait à calmer certains effets stylistiques trop appuyés, elle pourrait vraiment s’imposer comme une valeur sûre.
En conclusion, Our Kind of Traitor est un thriller sympathique et parfait pour un dimanche soir. Il n’est pas très ambitieux ni même fulgurant mais suffisamment maîtrisé et efficace pour pleinement divertir On regrettera des facilités scénaristiques trop évidentes, un traitement de surface qui n’implique pas totalement le spectateur ou encore certains effets visuels qui ne sont là que pour l’esbroufe. Mais dans l’ensemble cela fonctionne car une élégance se détache de l’oeuvre et flatte le spectateur. Le tout est mis en image avec soin, respecte l’œuvre de John Le Carré et dispose d’un casting qui vaut le coup d’œil. Et même si Our Kind of Traitor est voué à être oublié assez vite, il aura su nous faire passer un moment agréable, ce qui n’est pas si mal en fin de compte.