Le film La Pirogue traite de l'immigration africaine, et plus particulièrement de ces voyages meurtriers qui poussent les Africains à traverser l'océan sur des pirogues au péril de leur vie, dans l'espoir de rejoindre l'Europe. La plupart du temps, seuls les hommes entreprennent de se lancer dans une telle aventure, mais dans le film, on découvre qu'une femme s'est glissée parmi les clandestins. Moussa Toure tenait ainsi à montrer que la femme africaine est aussi forte que l'homme et peut faire autre chose que de "piller le mil."
Moussa Toure avait déjà réalisé plusieurs documentaires sur son pays, le Sénégal, afin d'y dénoncer les inégalités dans la répartition des richesses, mais aussi la corruption du gouvernement. Cependant, il s'agit d'une réalité tellement prégnante que le cinéaste ne s'imaginait pas en faire un sujet de fiction. Il a fallu plus d'un an à Eric Névé pour le convaincre de réaliser un drame sur ces problèmes, qui sont à l'origine de la fuite massive des habitants vers l'Europe.
Le scénario, qui est passé par de nombreuses phases de réécriture, a mis près de trois ans à voir le jour dans sa version définitive ! Le cinéaste a d'ailleurs refusé d'être crédité en tant que scénariste, car il estimait que son manque de recul par rapport au sujet traité ne lui permettait pas de prendre part au processus, contrairement aux deux scénaristes attitrés, David Bouchet et Eric Névé, qui bénéficiaient quant à eux de la distance nécessaire.
Selon Eric Névé, le producteur de La Pirogue, ce film est un travail de mémoire qui servira aux Français d'origine africaine des futures générations, afin qu'ils se rappellent que leurs parents ont affronté les eaux pour leur offrir une vie meilleure. "Cela fera partie de leur histoire, cela fera partie de l’Histoire de France", déclare-t-il.
Au Sénégal, toutes les familles comptent au moins une personne qui a tenté de traverser l'océan en pirogue. Selon le réalisateur Moussa Toure, ce phénomène est un véritable fléau pour le pays, dont la population se compose majoritairement de jeunes de moins de 20 ans, la plupart sans aucune perspective d'avenir. Il a lui-même rencontré un jeune mécanicien qui avait tenté la traversée en pirogue avant d'être reconduit au Sénégal par les services d'immigration clandestine.
Comme le souligne Moussa Toure, son film, qui se déroule essentiellement sur une pirogue, rassemble différentes ethnies : "Je voulais que les hommes qui s’embarquent sur la pirogue soient d’origines ethniques différentes. Le Sénégal compte douze ethnies. C’est ainsi que sur le bateau, se retrouvent côte à côte des Toucouleurs, des Wolofs et des Guinéens qui sont Peuls", déclare-t-il. Si tous ces individus sont réunis sous la caméra du cinéaste, c'est en partie pour montrer à quel point les situations extrêmes (en l'occurrence, la traversée de l'océan en pirogue) placent chaque être humain sur le même plan.
Pour tourner son film, le réalisateur déclare s'être inspiré de l'épique Master & Commander ! Cependant, il n'a pas tourné en studio comme l'avait fait Peter Weir, mais dans des décors naturels, à la jonction d'un fleuve et de la mer. Seul problème à l'horizon : la plupart des acteurs ne savaient pas nager, ce qui a posé quelques soucis lors du tournage des scènes censées se dérouler en pleine mer. D'autre part, en guise de préparation, le cinéaste a montré Master & Commander à toute l'équipe !
La Pirogue est un film qui montre des personnages confinés dans un espace étouffant, à l'image de la situation dans laquelle se trouve leur pays : il n'y a ni horizon ni issue, et la population devient claustrophobe. Cette thématique est chère à Moussa Toure, qui l'a déjà abordée dans d'autres films, comme TGV ou 5x5, deux histoires qui enserrent leurs personnages dans des lieux clos, qu'il s'agisse d'un car ou encore d'une maison surpeuplée.
La Pirogue a peine sortie sur nos écrans, le réalisateur sénégalais envisage déjà son prochain film, centré cette fois-ci sur la lutte. Selon lui, au-delà des différences qui divisent parfois son peuple, la lutte reste le sport fédérateur du Sénégal. "C’est dans la lutte que nous nous retrouvons tous", déclare-t-il. A ce sujet, on peut remarquer que Moussa Toure a d'ailleurs introduit une scène de lutte dans La Pirogue, ce qui laissait présager de son intérêt pour le sujet.