Les mots contre la barbarie. Il faut d’abord passer sur cette irritante convention du cinéma américain : Où qu’elle se situe (en Scandinavie, dans le désert africain, ou en Thaïlande…) une histoire ne peut se raconter que dans la langue-monde, l’anglais. Dans "La Voleuse de livres", qui a pour cadre une petite ville de l’Allemagne nazie, tous les personnages parlent donc anglais. Avec l’accent allemand cependant, pour bien dire où on est. Après quelques instants de flottement, le spectateur, qui en a vu d’autres, se laisse quand même rattraper par l’histoire. D’autant que le casting est irréprochable : la jeune Sophie Nélisse, sorte de Chloé Moretz qui ne minauderait pas, le vétéran Geoffrey Rush encore une fois épatant, et surtout, surtout, Emily Watson (l’héroïne de "Punch-drunk love" et de "Breaking the waves") impressionnante ici en mère sévère et aimante qui cache sa bonté sous un masque de dureté. L’émotion affleure souvent, accompagnée discrètement par les thèmes délicats de John Williams (oui, le compositeur attitré de Spielberg) qui surprend dans un registre très différent de ses habituelles envolées symphoniques. La réalisation est classique mais élégante : Brian Percival a le bon goût de ne jamais s’attarder sur ses morceaux de bravoure, quelques plans audacieux qu’il sait fondre dans un montage très sûr. On ne lui reprochera que sa docilité : il est en fait l’exécutant consciencieux d’un script surécrit, bourré jusqu’à la gueule, tenant absolument à payer son tribut au roman d’origine, le best-seller planétaire de Markus Suzak. A l’évidence, Michael Petroni (déjà auteur pour la Fox du "Monde de Raniania 3" ) n’a pas su trier dans le matériau foisonnant du livre. Il a renoncé aux flash-back, remis les péripéties dans l’ordre, mais il a conservé, par le choix de la voix off, le principe du narrateur omniscient (et quel narrateur !). Le mélo, c’est comme la pâtisserie, c’est affaire de proportions. Trop de couches, trop de crème, trop de sucre… et c’est mort. A la fin, devant moi, ayant eu sans doute son content de larmes, une vieille dame s’est levée, histoire de sortir tranquillement pendant le générique. Mais voilà que rendue à la porte, elle s’aperçoit qu’il y a un épilogue. Elle attend patiemment sur sa canne, ça y est, c’est bon… et non, patatras, elle découvre qu’il y a une encore une fin. La 3ème, la vraie, celle où le scénariste lâchera enfin les fils de son récit. Too much, guys !