La mèche rebelle, tête enfouie dans on ne sait quel rêve ou quelle attente un jeune homme à peine sorti de l’adolescence est assis sur le bord du trottoir dans la rue ensoleillée bruissante de mouvement… Il est dépassé par une ombre dont les talons claquent… Il tourne la tête se déplie puis la suit, les mains dans les poches…
Début percutant ! La silhouette du jeune artiste, alors complètement inconnu, est étonnamment jeune, féline, rebelle...
Nous sommes en 1955.
Première scène du mythique « A l’Est d’Eden », première apparition de James Dean en tant qu’acteur principal, premier film en technicolor pour le grand réalisateur Elia Kazan…
Kazan a choisi Dean contre Newman (également débutant) pour interpréter le fils rebelle, parce que mal-aimé, d’Adam : Cal…
Mythique période où Brando côtoie Newman … Ou Newman rivalise avec Dean… Et tous sont de l’Actor Studio où l’on apprend à « vivre » un rôle plutôt que de le jouer… Méthode radicale qui révolutionne le théâtre et le cinéma!
Dean en 1955 n’a fait que quelques apparitions dans des pubs, des séries télé… (Déjà !!!) et quelques seconds rôles au cinéma . Au théâtre il joue Gide et est reconnu comme un acteur de grand talent.
1955 : il tourne trois films et meurt la même année au volant de sa Porsche 550 ! Il a 24 ans !
De fait « A l’est d’Eden », immense chef d’œuvre cinématographique, est marqué au fer rouge par le sombre destin de Kazan et de Dean…
Pour Kazan c’est clairement un désir de rédemption qui le pousse à réaliser ce film. Le thème supporte la réponse à ceux qui lui reprochent (avec raison) d’avoir dénoncé et compromis ses amis en 1952 dans la très glauque période du Maccarthisme…
Adam, le père, s’en prend à son fils libre et rebelle par dogmatisme. Il fait souffrir Cal pour servir ce qu’il pense être le Bien. Et il cite la Bible en bon fondamentaliste qu’il est ! Incapable d’empathie vraie il est aveugle et sourd. Sa « charité » n’est que de façade… Il fait ses patenôtres mais n’aime pas !
Rien n’a changé aujourd’hui… Les intégristes dénoncent et tuent encore au nom d’un livre mal compris, d’une idéologie ou d’une religion aliénante… Ailleurs évidemment. On ne voit bien que ce qui est loin ! Mais aussi, ici dans nos provinces, dans notre rue, sur nos paliers !
Kazan semble dire dans ce film « Voila ce que je fus. Le maccarthysme était une course folle pour démasquer les traîtres à une certaine forme d’impérialisme. J’ai payé pour cela. Pardonnez-moi ! » En 1999 il reçut un Oscar d’honneur pour son œuvre. Une grande partie des acteurs présents, ce jour là, ne l’applaudirent pas…
James Dean perd sa mère en juillet 1940. Il a 9 ans et cette disparition le laisse dans un profond désarroi. Adolescent puis jeune adule il est en conflit avec son père notamment en raison de ses aspirations à devenir acteur. Il fuit à New York pour entamer sa carrière. Mais pour le tournage d’ A l’est d’Eden, il doit revenir à Los Angeles où vit précisément son père. Pour son premier rôle au cinéma Dean sert un personnage qui lui ressemble étrangement : conflit avec le père par incompatibilité morale et par la volonté d’émancipation… Une opposition quasi-philosophique aussi… Pour le père les référents sont la morale et la Bible. Pour Cal c’est l’individualisme et la psychologie… Le seul point commun qui pourrait les lier mais qu’ils ne se reconnaissent pas : l’esprit d’entreprendre !
Le tournage fut difficile. On dit que James cultiva les conflits avec Richard Davalos qui joue le rôle d’Aaron le frère de Cal… Pour servir le réalisme du film !
« A l’Est d’Eden » est l’un des films les plus importants de l’histoire du cinéma…
En raison des circonstances qui ont présidées à sa création… Elles viennent d’être indiquées…
Mais aussi pour la qualité du scénario du montage et de la photographie.
À l'Est d'Eden de Kazan correspond à la dernière partie du gros roman éponyme de John Steinbeck*…
Il en tire un scénario complexe et qui nous parle toujours. Les adolescents sont vus comme des êtres humains qui souffrent, les relations familiales sont complexes et difficiles… Et la mère, personnage sombre et ambigu est foudroyante de modernité dans ses choix : voici une femme d’affaire libéré des contraintes puritaines, de l’asservissement machiste du mariage !
Formellement Kazan use de nombreux symboles, filme de grands espaces, aligne les scènes extérieures avec de nombreux figurants… Il reste de ce point de vue dans le goût du cinéma hollywoodien d’alors…
C’est d’abord dans le cadrage qu’il est d’une incroyable originalité… Observez les plans "penchés" (plans débullés) générant un effet de malaise… Impressionnants ! Notez les cadrages avec profondeur de champ changeants ou encore le plan mobile accompagnant la balançoire… A la manière d’un Hichcock il use aussi de
plans longs, de travelling dramatisant l’action. La gestion de la photographie et des éclairages est superbe : lumières au travers de la glace, scènes de nuit…
On reprochera peut-être à Kazan sa conclusion trop moralisante, trop pleine d’espoir… Ce après nous avoir servi une si sombre vision de l’humain…
« A l'est d'Eden » n’en est pas moins un chef d’œuvre que tout amateur du septième art se doit d’avoir vu…
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(*) Grande chronique s’étendant sur plus d’un siècle et illustrant, sur fond de conflit familial, les thèmes de l’individualisme (« Deux hommes n'ont jamais rien créé. Il n'existe pas de collaboration efficace en musique, en poésie, en mathématiques, en philosophie. »), des préjugés qui faussent les relations humaines, de l’acculturation, de la réussite et la déchéance sociale…