Plusieurs pays d'Amérique du Sud ont été marqués par des régimes ultra-autoritaires qui ont succédé à des démocraties progressistes. Exemple au Chili : le 11 septembre 1973, le gouvernement socialiste de Salvador Allende est renversé par les forces militaires de Pinochet. La dictature qui en découlera durera près de 17 ans et laissera un bilan humanitaire catastrophique. Autre exemple en Argentine : en 1974, le président Peron décède. Pendant deux ans, le pays connaît de fortes instabilités ministérielles avant que les militaires ne décident d'un coup d'État. Ils occuperont le pouvoir pendant 8 ans. Exécutions sommaires, tortures et disparitions traumatiseront à jamais le pays. Quant au Brésil, il a connu l'autocratie militaire de 1964 à 1985, soit pendant 21 ans.
Les groupuscules politiques révolutionnaires s'organisent durant les années 70, avec pour objectif le renversement des régimes en vigueur. En 1979, une première loi au Brésil permet l'amnistie de tous les exilés politiques, qui reviennent au pays. Cependant, ce décret autorise aussi le retour de ceux qui ont bafoué les droits de l'homme en torturant et séquestrant des opposants à la dictature. L'année suivante, le Parti des Travailleurs, d'obédience socialiste, est fondé. En 2002, Luis Inacio Lula da Silva, ancien ouvrier et membre du P.T., est élu Président du Brésil. Une victoire que personne n'aurait imaginé 20 ans auparavant.
Née en 1965, Flavia Castro est scénariste avant d'être cinéaste. Elle a assisté des réalisateurs comme Philippe Grandrieux ou Richard Dindo sur Ernesto Che Guevera, journal de Bolivie. Elle vit entre Rio et Paris. Lettres et révolutions est son tout premier long métrage.
La réalisation de Lettres et révolutions est liée à l'histoire personnelle de Flavia Castro. Le père de cette cinéaste en herbe était un ancien militant révolutionnaire. Il est mort en 1984 à Porto Alegre, dans la propriété privée d'un ancien nazi. Selon les conclusions officielles, il se serait suicidé.
Durant son enfance, Flavia Castro a assisté à bon nombre de débats politiques organisés par ses parents. Dès leur plus jeune âge, son frère et elle se divertissaient en imitant les réunions syndicalistes, plutôt que de jouer à la maîtresse. Ce contexte familial ultra-politisé est l'une des raisons qui l'a incité à réaliser Lettres et révolutions.
Militants révolutionnaires, les parents de Flavia Castro ont pendant longtemps été considérés comme activistes dangereux et recherchés par les autorités brésiliennes. Ils ont été contraints de s'exiler à Santiago du Chili, de vivre clandestinement dans la lutte armée à Buenos Aires et de fuir en France où ils ont participé aux activités de la LCR. Ils sont ensuite partis de nouveau en exil au Venezuela avant de rentrer au Brésil grâce à la loi d'amnistie.
Le désir de faire perdurer ses pensées utopistes, telle est la démarche de Flavia Castro au moment de réaliser Lettres et Révolutions : "J’avais envie de retracer ce mouvement intérieur qui va de la joie et de la force d’avoir un idéal, de vivre collé à son temps jusqu’à la fin. Je voulais transmettre le quotidien de ce vécu qui est fait de petites choses et non pas de grands actes. Aller vers les sensations, les impressions du passé, plutôt que construire une réflexion a posteriori."
Le scénario de Lettres et révolutions a été pensé et construit comme une fiction, avec une évolution dramatique et deux blocs narratifs bien distincts. Chacun s'articule autour d'un thème : la vie pour le premier, la mort pour le second. Le premier récit porte sur l'enfance de Flavia Castro. Une voix-off y lit les lettres que son père a écrites durant son existence. L'autre récit se déroule dans le présent du film. La réalisatrice tente d'enquêter sur les circonstances du décès de son père, sans vraiment savoir où cela va la mener.
Même si sa participation n'était pas initialement prévue, Flavia Castro a impliqué son frère dans le tournage de Lettres et Révolutions afin de recueillir son point de vue : "À la fois dans et au delà du film, il apporte surtout quelque chose de très touchant dans son rapport à notre père, différent du mien et à la fois si proche… C’est lui qui a le mot de la fin."
Dans le cadre de son film, Flavia Castro est allée filmer au Brésil, au Chili, en Argentine, puis à Paris.
Lettres et révolutions a reçu de nombreux prix dans des festivals du monde entier. Il a été récompensé du Prix du Meilleur Documentaire au Festival d'Amérique Latine à Biarritz et à l'International Film Festival à Rio. Ce film a aussi été désigné Meilleur Film au Festival International de Punta del Este ainsi qu'au Festival de Cinema à Gramado. La Fédération internationale de la presse cinématographique (FIPRESCI) lui a attribué le Prix du Meilleur Film à Cannes en 2010.