Les origines du mouvement Rasta sont encore peu connues. Il faut savoir qu'il est né au début des années 1930, en plein colonialisme. Cette vague contestataire a été immédiatement persécutée par les pouvoirs en place, en l'occurrence les empires colonisateurs. Le père fondateur du mouvement Rasta est Leonard Percival Howell, dit le "Gong" : un nom méconnu, tout simplement parce que sa mémoire a été éclipsée. Pourtant, il s'agit du maître à penser de Bob Marley : le roi du reggae lui doit tout, jusqu'au surnom qu'il s'est donné, celui de "Tuff Gong".
Leonard Percival Howell est né en 1898 dans une région agricole de l'île. Son père est de cette générations de jamaïcains noirs nés libres (l'esclavage fut aboli en 1838). Howell quitte la Jamaïque très tôt pour aller voyager aux quatre coins du monde (de New Tork à l'Asie en passant par Panama, l'Europe et l'Afrique). De retour au pays, il a commencé à évoluer dans des réseaux de contestation et se fait le porte-parole de millions de déshérités, dont le système de colonisation confisquait les biens les plus précieux (leurs terres, leurs dialectes, leur identité). Howell a dès lors été considéré comme dangereux pour les colons anglais. Il a été poussé à la marginalité et a connu de nombreux séjours tantôt en asile psychiatrique, tantôt en prison. Après avoir subi des menaces de mort et essuyé des attaques de la part de des politiciens, de la police et de l'Église, il a fini son existence dans l'anonymat et la paranoïa.
Le Premier rasta sort en France (27/04/2011) au moment même où est célébré l'anniversaire de la mort de Bob Marley, disparu il y a 30 ans. Howell, son père spirituel, est mort la même année. Faut-il y voir une ironie du sort ou un signe du destin ? Toujours est-il que Howell fut l'un des penseurs de l'anti-impérialisme aujourd'hui injustement oubliés.
Contrairement aux idées reçues, Leonard Percival Howell n'a pas inventé les dreadlocks, n'a pas incité à la consommation de l'herbe, et n'a pas créé le courant musical du reggae. Mais cette musique a été tournée en dérision, de sorte qu'aujourd'hui, le reggae a perdu de sa valeur politique. Le cliché du Rasta à la barbe fournie, noyé dans la fumée de ses joints, empêche, explique Hélène Lee, de considérer leur musique comme une réelle arme de lutte: "Pensez donc : en pleine époque coloniale, un Nègre qui défie les puissances impériales et se bâtit un monde à part, indépendant du contrôle policier et du système de l’argent ? Une culture populaire, qui insuffle un contenu marxiste dans le concept biblique de Babylone ? Un mouvement bâti, non pas sur un dogme, mais sur un mode de vie respectueux des individus ?"
L'objectif du film est de permettre la réhabilitation des Rastas dans l'histoire des grands mouvements alter-mondialistes. Le film permet de comprendre en quoi ils ont été de véritables précurseurs en la matière.
Hélène Lee a récupéré des archives cinématographiques, des rapports de police et des articles de journaux autour de Leonard Percival Howell. En utilisant ces sources, Le Premier rasta "nous emmène dans le sillage du baroudeur et nous permet de suivre la formation de sa pensée." La réalisatrice détaille ainsi sa démarche personnelle. Elle ajoute également : "A partir de 1932, date de son retour au pays et des premières manifestations de son mouvement – le film laisse la parole aux témoins directs. Pour la première fois, il fait parler ces survivants centenaires qui nous décrivent un mouvement Rasta bien différent des clichés."
Hélène Lee explique que les interviews qu'elle a effectué avec les jamaïcains qui ont côtoyé Lowell "dessinent,non seulement la silhouette d’un leader formidable, mais le combat quotidien d’une poignée d’hommes et de femmes qui se dressent, sans peur, face à un système mondial tout-puissant". Il s'agit pour elle d'un véritable exemple de "courage moral inouï à une époque où les Noirs, en Amérique et en Afrique, étaient encore des sous-hommes, soumis aux travaux forcés et à la discrimination raciale. Ils ont payé le prix de cette audace par des persécutions incessantes et une constante désinformation visant à les faire passer pour des fous - mais ils ont gagné."
La bande originale du film est bien sûr centrée sur la musique rasta. Bunny Lee, producteur historique, s'est chargé de la superviser. Plusieurs jeunes talents ont participé à sa création (100 Grammes de Têtes, Tu Shung Peng, Groundation...). Quelques morceaux "lives" y sont proposés, incluant entre autres Max Romeo (qui fut la première star du reggae à jouir d'une reconnaissance internationale), The Abyssinians (les auteurs de Satta Massa Gana, un hymne qui réclame le retour à la terre promise), les Batteurs de Count Ossie (les initiateurs de la rythmique jamaïcaine)...
Hélène Lee, journaliste, auteur, traductrice et réalisatrice, a longtemps étudié la culture rasta, à laquelle elle est aujourd'hui complètement liée. Cela fait 40 ans qu'elle cherche à révéler les artistes de la scène rasta, qu'elle travaille sur la musique et les courants de pensées en Afrique et dans les Antilles. Elle y a consacré plusieurs essais, notamment Rockers d'Afrique (paru en 1987), Voir Trench Town et Mourir (de 2003), et Le premier rasta (édité chez Flammarion en 1999) dont ce film éponyme est issu. Elle a tourné plusieurs documentaires pour Arte ou pour France 3. Elle publie des articles dans Libération, Actuel et Géo. C'est elle qui a popularisé des chanteurs issus de la culture rasta et africaine tels que Tiken Jah Fakoly, Alpha Blondy ou Salif Keita.
Hélène Lee s'est offerte les services du caméraman Christophe Farnarier pour gérer tout l'aspect technique de ce documentaire. Farnarier s'est fait connaître pour avoir auparavant travaillé avec Albert Serra sur Honor de cavalleria en 2006. Il a aussi tourné un documentaire, El somni (2008), qui a reçu plusieurs prix.
Le Premier rasta a été chaleureusement accueilli dans différents festivals, notamment celui du Film Insulaire de Groix où il a été récompensé par le Prix du Public. Il a été également programmé au Festival International d’Amiens, à celui de Douarnenez. Il a reçu le prix Coup de cœur par l’Académie Charles-Cros.