Ce n'est pas la première fois que Kore-Eda Hirokazu parle de l'enfance : elle était au centre de "Nobody knows", et dans "Still Walking", le personnage du petit-fils joue un rôle important. Dans ces deux films, et particulièrement dans "Nobody knows", elle était entourée de menaces et de dangers, entre l'abandon de la mère et le culte oppressant du fils disparu. Ses autres films abordaient aussi des thèmes graves : la mort dans "After Life", le suicide collectif dans "Distance". Ici, rien de semblable ; au contraire, l'évènement déclencheur est le plus banal du monde, à savoir le divorce, et si l'escapade de la troupe d'enfants a la saveur du conte, les ogres rencontrés sont des vieillards bienveillants, que ce soit le grand-père complice ou les retraités qui sauvent la petite troupe du zèle du policier local.
A la question qui lui était posée sur cette tonalité si optimiste, Hirokazu a répondu que ça s'était fait ainsi sans qu'il l'ait prémédité : "En fait ce n’est pas une décision personnelle. Je reconnais que ce film est plein de vie, mais c’est la vie qu’ont apporté tous ces personnages, les acteurs, les enfants qui étaient plein de vie." Il faut dire que le film repose sur le jeu des enfants, et particulièrement celui des deux frères Maeda qui jouent Koichi et Ryunosuke avec gravité pour l'aîné, avec fantaisie pour le plus jeune, et que même si on sent bien le processus d'écriture dans les dialogues, le naturel des jeunes acteurs les rend extrêmement fluides.
Hirokazu raconte que le point de départ du film était une image tirée de "Stand by me" de Rob Reiner, celle d'un groupe d'enfants marchant le long de rails. Mais quand il a fait les repérages pour tourner la scène du croisement des deux Shinkansen, il s'est rendu compte que toute la ligne de ce TGV dans l'île de Kyushu au sud du Japon était surélevée, et il a donc dû modifier le scénario, faisant de cette difficulté à se mettre en surplomb de la voie un des ressorts du scénario. Les références que cite Hirokazu et auxquelles j'avais pensé à la vision du film sont nombreuses, notamment "Gosses de Tokyo", d'Ozu, et "Les 400 coups" de Truffaut.
Le film est composé de deux parties distinctes : la première heure nous décrit dans un montage parallèle et par petites touches la situation des deux frères aux deux extrêmités de l'île : leurs familles, leurs amis, leurs écoles, et comment naît le projet de la rencontre. La seconde raconte le voyage des deux bandes pour se retrouver au centre de l'île, leur trajet commun et leur retour; Autant la deuxième partie se regarde avec plaisir et grand intérêt, autant la première est beaucoup plus difficile à suivre. Hirokazu y alterne des scènes courtes, très dialoguées, en plongeant d'emblée le spectateur dans la vie quotidienne des deux gamins, et en laissant à ce même spectateur le soin de recontruire le puzzle de leur histoire. Or, il y est fait référence à de nombreux éléments de la culture japonaise, et quand on n'est familier ni avec les joueurs de base-ball de la NPB, ni avec les personnages de manga, ni avec les spécialités culinaires de Kyushu, on a vite fait de décrocher, ce que ma voisine au Balzac a manifesté par des ronflements sonores, ce qui ne m'a pas aidé en entrer dans l'histoire.
Heureusement, même cette première heure est traversée par des moments forts, comme la solidarité des élèves contre le manque de tact du professeur, ou amusants comme la convergence des avis sur le karukan, la spécialité au goût incertain que prépare le grand-père ou la complicité de l'infirmière scolaire avec les jeunes comploteurs. Tout en gardant le cap sur la ligne narrative donnée par le projet des enfants, Hirokazu continue à aborder par petites touches subtiles les questions qu'il se pose sur la société japonaise : les relations entre les différentes générations, le rapport à la nature dans un pays d'une telle densité, ou l'importance des conventions sociales. Reste à savoir si le fait de raccourcir la première partie aurait fait perdre ou non de la force au voyage initiatique des enfants. Pas sûr, et on y aurait certainement gagné de la lisibilité.
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