Formidable film d'animation, d'une richesse et d'une originalité sans pareilles. À partir d'une rêverie sur l'art, tout en mises en abyme, le récit se déploie dans deux directions thématiques : allégorie sociopolitique sur la discrimination et le pouvoir ; métaphysique emboîtée façon poupées russes, à la recherche du (des) créateur(s). Le grand talent d'Anik Le Ray (scénariste) et de Jean-François Laguionie (réalisateur) est d'avoir su aborder cette matière riche, ambitieuse, avec une simplicité et une fluidité remarquables, au gré d'aventures ludiques, où l'on va de tableau en tableau, d'un chant de bataille au carnaval de Venise, à la découverte de mondes parallèles. L'ensemble prend ainsi la forme d'un joli conte philosophique, offrant plusieurs niveaux de lecture, pour les petits et pour les grands. Tout en douceur et en couleur, le film démonte ainsi les préjugés, l'intolérance, les formes d'exclusion, les abus de pouvoir, et s'impose au final comme une ode à la liberté et à la curiosité intellectuelle, qui doivent aider à ne pas avoir peur de l'inconnu, à relativiser son savoir et à dépasser les frontières. C'est comme un petit abrégé de la philosophie des Lumières, diffusé par des personnages-symboles qui sont croqués avec suffisamment de sensibilité pour que jaillisse une humanité attachante. L'intelligence et la sensibilité, sur le fond, trouvent un bel écho sur le plan formel, via une habile variation entre différents styles picturaux et différents types d'images. Au gré des paysages et des personnages rencontrés, les dessinateurs convoquent, entre autres, Matisse, Derain, Bonnard, Modigliani, Giacometti, Cézanne, Picasso (on peut s'amuser au petit jeu des références), tandis que le réalisateur jongle avec plusieurs textures (peintures à l'huile, images de synthèse, prises de vues réelles), en les superposant parfois, pour matérialiser plusieurs niveaux de réalité au fil de la narration. Une brillante composition, à tout point de vue.
Nommé pour le César du meilleur film d'animation 2012, Le Tableau méritait davantage la récompense que Le Chat du rabbin...