Si il y a un film qui ne manque pas de surprendre, c’est bien celui-là. Pas tant au niveau de l’intrigue (quoique), mais au niveau de la qualité. Le majordome est le film qui a fait pleurer l’Amérique et le Président des Etats-Unis en l’année 2013. La baffe ne tarde pas à venir, dès les premières images en fait, en voyant un Forest Whitaker vieilli, amaigri, le regard errant dont on ne sait s’il est émerveillé ou nostalgique, ou encore en proie à de la rêvasserie. Si vous ne connaissez pas comme moi l’histoire de ce vieil homme noir avant de visionner cette merveille cinématographique, c’est ce qu’on vous propose de découvrir. Car c’est de cet homme que le film va nous parler. De sa destinée peu commune. Un long discours puissant qui ne laisse pas indifférent et qui ne peut qu’emporter l’adhésion du spectateur. Cet homme, sous le nom de Cecil Gaines, est basé sur l’histoire vraie d’Eugène Allen, contée par un journaliste du Washington Post. Cela donne un scénario au propos honnête tout en affichant une véracité historique ahurissante. Sa mise en œuvre par le réalisateur Lee Daniels est toute en retenue, sans véritable violence ni vulgarité, malgré quelques scènes révoltantes
comme celle du snack-bar
. Paradoxalement, elle tient un propos fort, profondément humaniste, en toute simplicité. Forest Whitaker endossant les traits du personnage principal, hérite de la lourde tâche consistant à porter tout le film sur les épaules. Il y parvient admirablement bien, et je vous avoue qu’à l’époque de "Le dernier Roi d’Ecosse", il m’avait ébloui, mais ce n’est rien encore rien à côté de ce rôle. Je dirai même que sa performance monte en qualité au fur et à mesure que l'histoire de son personnage avance, pour finir en apothéose en interprétant le poids des années sur Cecil Gaines. Personnellement, je ne le voyais pas vraiment dans ce rôle de composition, car il a une démarche particulière, une démarche qui ne correspond pas vraiment à celle qu’un majordome doit avoir, c’est-à-dire de la prestance, résultante d'un mélange d'élégance et de dignité. Les faits sont là et je dois me rendre à l’évidence : je suis scotché, et j’ai presque l’impression que ce rôle a été écrit pour lui, lui et personne d’autre. Je trouve anormal qu’il n’ait pas obtenu ne serait-ce qu’une nomination aux Oscars. Il fallait pourtant se frayer un chemin et garder la tête froide au milieu de ce casting prestigieux, dont les grands noms font en général une courte apparition : Robin Williams, la chanteuse Maria Carey (que je vous défie de reconnaître), Jane Fonda, Lenny Kravitz, James Marsden, Liev Schreiber (méconnaissable), Alan Rickman (zut, je l'ai raté), Vanessa Redgrave, John Cusack. Que du lourd. A ceux-là s’ajoutent des apparitions plus conséquentes comme celles de Cuba Gooding Jr. (que j’aime beaucoup malgré une carrière en demi-teinte), de Terrence Howard et surtout de David Oyelowo (qu’on retrouvera peu de temps après dans la peau de Martin Luther King à travers "Selma"), mais aussi de Oprah Winfrey (découverte dans "La couleur pourpre"), que j’ai trouvé excellente également. Mais revenons-en à l’histoire. Je disais qu’elle se centrait sur Cecil Gaines. C’est vrai, mais pas seulement. On suit également la relation père/fils aîné, véritable vitrine d’importantes divergences dans le point de vue. Pour rappel, la narration débute en 1926 pour se terminer lors de l’élection de Barack Obama en 2008. Nous traversons donc les années où la condition des noirs-américains est difficile alors que l’esclavage a été aboli le siècle précédent, laissant un héritage violent de racisme par oppressions et discriminations interposées. Martin Luther King et sa célèbre marche à Selma sont évoqués, ainsi que Malcolm X, divisant tout un peuple sur le mode opératoire visant à faire respecter (ou pas) les droits civiques et la dignité des noirs-américains. Cette division s’opère également dans cette famille, jusqu’au tournant de la 75ème minute, où Martin Luther King expose à Louis Gaines un autre point de vue sur l’importance des domestiques noirs. Alors certes la mise en scène peut paraître académique, relativement classique et plus ou moins romancée à l’américaine. Mais elle a le mérite de ne jamais surenchérir le propos plus qu’il ne le faut, s’appuyant sur des faits, et en incorporant des images d’archives. Au contraire, elle semble aussi humble que le personnage central. Le réalisateur a réussi de ne pas tomber dans le piège du film fleuve détaillé, en dépit d’une actualité riche durant les nombreuses années de service du majordome le plus estimé de tous, alors que les noirs luttent pour se faire reconnaître comme étant l’égal des blancs, dans toutes les classes sociales, y compris les plus hautes. Ainsi on survole un peu l’histoire, en évoquant les assassinats de JFK, de Luther King, le Ku Klux Klan, le scandale du Watergate, la guerre du Viet-Nam (bref des sujets déjà traités par le 7ème art), pour finir sur l’allocution mythique de Monsieur Obama. Et c’est là, je pense, le vrai message du film, bien plus encore que ce violent racisme qui a secoué le peuple noir : que tout est possible. Forest Whitaker l’a fait en dépassant ses limites.