Comment se rendre compte, en deux heures, de la longue dégénérescence de la vieillesse ? Haneke prend une distance morale magistrale pour observer le réel d'un couple d'octogénaires. Les amours moribondes sont émoussées par le manque de vigueur et la monotonie assommante du quotidien.
Haneke transforme l'appartement parisien bourgeois du couple en huis clos claustrophobique, aux tonalités mornes. Ses cadres fixes renforcent le sentiment d'enfermement, de végétation et d'inéluctabilité de la mort. Anne et Georges ne sont plus en mesure d'échapper à leur routine répétitive. Ils sont prisonniers de leur enveloppe corporelle ralentie, condamnés à perdre le contrôle de leur esprit,
comme cela arrive à Anne
.
Confrontée à
la maladie de sa femme, Georges se sent responsable de sa santé
. On devine, par leur ancienne profession et l'appartement dans lequel ils vivent, qu'ils seraient en mesure de payer une place en maison de retraite. Mais l'amour de Georges pour sa femme l'engage moralement et, par extension, le fait culpabiliser de son sort. S'occuper d'Anne teste les limites de son dévouement. Il ne s'agit plus de romantisme mais d'un devoir éthique : celui de préserver la dignité de sa femme – et la sienne, par un contrat de réciprocité.
La mort, dans ce contexte, apparaît à la fois comme le problème et la solution. La délivrance s'invite par deux fois dans l'appartement sous la forme d'un pigeon que Georges chasse, de la même manière qu'il repousse l'inévitable mort de sa femme.
Jusqu'à son geste final, capitulation face au destin
.
La solitude aussi ajoute à la dureté de ce quotidien. Haneke économise ses dialogues, n'accompagne pas le récit d'une musique pathos, et nous laisse, comme ses personnages, dans un silence ponctué de bruits de pas et de tic-tac d'horloge. Cette solitude est brisée, ponctuellement, par les voisins compatissants, les soins infirmiers et les visites d'Eva, qui, dans son approche extérieure, est déchirée entre son chagrin et son incapacité à comprendre la situation de ses parents.
Pas de jugement moral, pas d'artifices larmoyants dans le cinéma d'Haneke. Seulement une restitution quasi-documentaire d'un naufrage, porté par une interprétation bluffante de sobriété. Le plan final, superbe, sépare d'un côté la chambre endeuillée, vide, plongée dans l'obscurité, du salon éclairé par la lumière terne du jour et animé par la présence triste d'Eva. Un grand film.