L'amour excuse tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout
L'amour ne disparaît jamais
Première lettre de St Paul aux Corinthiens
On est assez loin, évidemment, de ce qu'on appelle aujourd'hui amour dans le courrier du coeur des magazines féminins: Elle et Lui se sautent dessus sauvagement (éventuellement bourrés, en sortant de boite), s'envoient vingt sept SMS par jour, se mettent à la colle, comme disait ma grand mère, puis, trois mois plus tard, se décollent sans plus de raison valable. Cela peut paraître paradoxal que ce soit Mikael Haneke le provocateur qui ait réalisé ce film magnifique.
Anne et Georges forment un couple bourgeois, mélomane -elle a été professeur de piano, et d'ailleurs, un de ses élèves (Alexandre Tharaud, joué par lui même....) est devenu un pianiste célèbre; leur fille elle même est musicienne, marié à un musicien. Anne aime Schubert par dessus tout.... Au lendemain d'un concert au Théatre des Champs Elysées, elle a un malaise, bizarre, mais qui trahissait un AVC. Au sortir de l'hôpital, elle se retrouve hémiplégique, et c'est Georges qui va la prendre complètement en charge. Hémiplégique, mais tonique: elle se révolte, contre ce qu'elle est devenue, contre ce qu'elle impose à son mari. Il y a l'humiliation du jour où elle s'apperçoit, au réveil, qu'elle a mouillé son lit. Puis, une deuxième attaque, la perte de toute mobilité, la perte de la parole, et toujours Georges, toujours là, isolant petit à petit Anne du monde extérieur. Du concierge et de sa femme, qui font les courses et le ménage, qui voudraient bien lui dire bonjour -ce sont des braves gens, pas par voyeurisme, juste par gentillesse. De l'infirmière, qu'il renvoie parce qu'elle a parlé à Anne en bêbêtifiant, comme à un enfant attardé (c'est trop souvent le cas pour les soignants des maisons de retraite). De leur fille Lisa, même (Isabelle Huppert), qui souffre de se retrouver complètement exclue de ce drame à deux personnages. Georges ne veut pas qu'on voit Anne diminuée, il ne veut pas qu'elle soit humiliée -et en même temps, on comprend bien que cette humiliation l'atteint lui même. Au moment de la mort, il veut reconstituer ce UN mythique, cette entité qui est autre chose que l'addition de deux existences, et ce UN là doit rester préservé.
Film totalement hors normes, hors modes, à première vue moins dérangeant que Funny Games ou la Pianiste, et pourtant.... Jean Louis Trintignant interprète formidablement cet homme qui garde toujours un contrôle implaccable de lui même, et Emmanuelle Riva, bouleversante, accompagne de façon impitoyable la déchéance physique de son personnage.