D/S (qui signifie Dominateurs/Soumis) s'intéresse de près à la domination féminine, et plus particulièrement dans l'univers du sado-masochisme et autres formes de luxures.
D/S est le premier documentaire qui aborde de front les jeux BDSM en pénétrant directement dans une soirée consacrée à ces rites sexuels. Auparavant a été tourné No Body Is Perfect (2006) de Raphaël Sibilla, un autre documentaire qui s'interroge sur la sexualité des personnes adhérant à ces pratiques. Du côté de la fiction, des films comme Maîtresse (1976) de Barbet Schroeder ou Eros thérapie (2002) de Danièle Dubroux ont pour sujet principal ce phénomène sociologique qu'est la domination-soumission.
Jacques Richard a imaginé D/S après avoir visité le Donjon Belge où sont organisées des soirées dites "spéciales". Les invités s'y livrent à des jeux sexuels. L'atmosphère, particulièrement amicale, et la convivialité entre les différents participants a beaucoup plu au cinéaste, qui a décidé de consacrer un film à cet endroit.
Jacques Richard affirme que ce qui l'a fasciné dans cet univers sado-masochiste tient à deux éléments: la confiance accordée à l'autre durant ces jeux et la libre création qui permet de répondre à ses pulsions profondes et donc d'opérer une véritable sublimation de soi-même.
La naissance du projet tient au constat que fait le cinéaste Jacques Richard sur les relations entre êtres humains. La plupart du temps, elles se jouent selon lui sur le rapport de domination et soumission, et ce dans tous les contextes. Que ce soit à l'école, au travail, en famille ou en couple, certains individus vont chercher à dominer tandis que d'autres vont préférer s'inféoder autant moralement que physiquement. Pour Jacques Richard, ces rapports sont tout à fait naturels et existent également chez les animaux.
Avant d'entrer dans le Donjon Belge, Jacques Richard a auparavant visité les peepshows avec Cent francs l'amour (1985). Il a également tourné un film muet en 1983 avec Jean-Pierre Léaud, Rebelote, ainsi que deux documentaires, Langlois monumental (1991) et Le Fantôme d'Henri Langlois (2004), consacrés au créateur de la Cinémathèque Française. Mais son œuvre la plus célèbre à ce jour reste le polémique Ave Maria (1984), dans lequel une adolescente de 15 ans est soumise à des exactions sexuelles de la part d'une secte religieuse. Jacques Richard est aussi l'auteur de plus de 20 clips musicaux.
Jacques Richard affirme que sa vocation de cinéaste est de porter un regard lucide sur son époque et sur ses contemporains, aussi subjective cette démarche soit-elle. Il explique qu'il a voulu saisir des moments de vie et s'est inspiré en cela de la façon dont Jean Eustache filme l'abattage d'un cochon puis sa transformation en pâté dans Le Cochon (1970). Il évoque aussi le travail de Jean Rouch avec Circoncision (1948) où il filme ce rite dans une tribu malienne. De même que ces deux cinéastes, Richard souhaite proposer un témoignage à la fois ethnographique et sociologique.
Leia Maîtresse vient d'Afrique du Sud et s'est installée en France à partir de 1987. Elle a étudié la peinture, la sculpture, la danse et les arts martiaux. Elle se spécialise ensuite dans le Body Art. Jacques Richard a rencontré Leia Maîtresse par le biais du site internet qu'elle a créé. Elle y propose toutes sortes de jeux sexuels des plus originaux et utilise des techniques comme le travestissement, le bondage ou autres actes SM. Elle effectue également des performances mêlant le body painting, la danse et la photographie. Avant D/S, elle a participé à deux courts-métrages sur le même sujet.
Leia Maîtresse affirme avoir toujours été fascinée par l'érotisme et son incrustation au sein des arts. Elle met en scène ses propres pratiques et attache beaucoup d'importance à la création d'ambiances adéquates (décors, musique, lumière...). Elle découvre ensuite le milieu DBSM (Dominants Soumis Sado-masochisme) et a une révélation : "Je me suis rendue compte que j'avais probablement toujours été dominatrice, moi qui avais l'habitude de régler les choses comme je le voulais, et c'est alors que j'ai verbalisé ce terme pour la première fois."
Concernant la complémentarité entre Leia Maîtresse et Jacques Richard, ce dernier certifie qu'ils sont co-auteurs du documentaire. Le cinéaste a tout filmé caméra à la main, tandis que Léïa a été la maîtresse de cérémonie. Sur le tournage, elle a aussi coordonné l'ensemble des situations et a énoncé les règles de conduite des jeux sexuels devant la caméra.
Lorsqu'on lui demande de définir l'univers du bondage et du sado-masochisme, Leia Maîtresse répond qu'il y a autant de façons de pratiquer le SM qu'il y a de personnes qui l'exercent. Les règles sont sans cesse à réinventer et à réorganiser par ceux qui se prêtent à ce genre de jeu. Elle insiste sur le fait que le libre-choix dans ces pratiques est important "afin de ne pas être emprisonné dans un carcan qui dicte déjà nos règles de vies en matière de sexualité dans la société".
Le film a été tourné durant une des soirées organisées au Donjon Belge. Les contraintes techniques que l'équipe de tournage a rencontré sur place ont été liées à la lumière ambiante des lieux, logiquement tamisée, et la vitesse d'enchaînement des actions durant les jeux. Jacques Richard explique qu'il fallait, avec une seule caméra, pouvoir suivre le fil des événements dans l'ensemble des pièces du lieu. Des précautions ont été prises pour ne pas déstabiliser l'ensemble des participants de la soirée. Pour ce faire, Richard et ses techniciens ont expliqué qu'ils n'étaient pas là en tant que voyeurs extérieurs, mais en tant qu'acteurs intégrés au déroulement de la soirée.
Leia Maîtresse dénonce les persécutions morales dont sont victimes les adeptes du bondage et du sado-masochisme. Elle estime qu'ils sont stigmatisés et considérés comme des pervers aux moeurs misérables et nuisibles. Trop de préjugés demeurent. En outre, l'artiste explique qu'il y a des limites dans ce type de jeux qui permettent ainsi d'empêcher les débordements et de protéger l'intégrité physique des personnes. Enfin, Léïa affirme que les échanges entre dominatrices et soumis débouchent toujours sur des histoires propres à chacun et peuvent s'avérer être de belles aventures.
Jacques Richard affirme que son film n'a rien de commun avec l'émission Striptease, "qui filme les choses avec un a priori voyeur sur nos contemporains". Il dit aussi que D/S n'a rien à voir non plus avec les oeuvres X du circuit pornographique "qui n'ont comme autre fonction que de stimuler la sexualité de leurs spectateurs."
Plusieurs autres femmes dominatrices apparaissent tout au long de la soirée au Donjon Belge dans D/S, parmi lesquelles Maîtresse Amazone, la guide des lieux, Maîtresse Cathy, la maîtresse de maison dont la spécialité est la fessée, Maîtresse Chantal qui propose les plans à suivre pour les jeux sexuels et Maîtresse Judith qui par ailleurs récuse le terme de dominatrice.
Leia Maîtresse insiste sur le fait que le film possède son lot d'humour et que cela permet au spectateur de mieux réfléchir à ce milieu que l'on connait en réalité très mal. Le film permet de porter, selon elle, "un regard particulier sur ce petit monde que l'on pense secret et tordu, et qui s'avère souvent bien plus ludique et ouvert d'esprit qu'on pourrait le croire. Ouvrir une porte vers une autre manière de se questionner sur soi-même ou sur nos rapports au pouvoir, au sexe, aux autres."
S'il y a des échanges protocolaires dans le milieu BDSM, il n'existe pour le moment aucun statut professionnel en France. Pourtant, d'autres pays à l'instar de l'Allemagne ont reconnu une vraie légitimité aux travailleuses du sexe et leur ont attribué un statut particulier.