Je pense qu'on réalise difficilement à quel point Kelly Reichardt est l'une des meilleures cinéastes.
Cette Dernière piste ne déroge pas à la règle et elle sort encore une fois un petit bijou. Ce qui est formidable dans ce film, c'est qu'elle déjoue toutes nos attentes de spectateurs. Et si l'on est en terrain connu, avec un convoi qui se rend vers l'ouest pour l'installer au beau milieu du XIXe siècle, on se rend bien vite compte que ce qui est intéresse Reichardt c'est réellement ce voyage. Je veux dire que dans beaucoup de film le trajet n'est quasiment pas traité, ou alors comme une succession de péripéties, là il n'y a rien de tout ça. On voit juste des chariots avancer dans le désert, traverser une rivière et c'est un peu tout.
Disons qu'on nous propose là une vision bien loin des fantasmes de conquête de l'ouest, où les gens rêvent d'aventure... Ici ils sont épuisés, apeurés et surtout assoiffés. L'aventure, le renouveau, refaire sa vie ailleurs, c'est surtout un long et pénible voyage, lent comme une marche funèbre, où il ne se passe pas grand chose, mais où le moindre obstacle peut gravement mettre toute la mission en péril.
D'ailleurs il faut noter que le film commence au beau milieu de nulle part et finit au beau milieu de nulle part, rien n'est résolu, ce qui permet de renforce l'impression d'égarement, on ne sait jamais vraiment où nous sommes, quand nous sommes, combien de temps s'est écoulé, tout se ressemble, comme s'il n'y avait jamais la moindre progression dans leur quête.
Je dois dire que cette vision du western, ou même du voyage de manière générale, je ne suis pas certain d'avoir vu ça ailleurs.
C'est singulier et ça fait un bien fou.
Et c'est à rapprocher de l'autre qualité du cinéma de Reichardt : le calme. Chez n'importe quel autre réalisateur les gens pleureraient, s'engueuleraient, ici on a quasiment pas ça. Certes on a bien un personnage qui craque un peu, qui veut faire demi-tour, ou qui peur des indiens, mais de manière générale, tout ça se fait dans le silence. D'ailleurs les personnages sont très peu développés, il n'y a quasiment pas de dialogues, ce qui permet encore une fois d'isoler ces êtres dans l'immensité du décor et de les perdre encore un peu plus...
Alors on a quand même deux ou trois personnages qui ont une personnalité, celui de Michelle Williams, l'héroïne du film (ou plutôt le personnage principal, celle par qui on va voir cette non-aventure), mais surtout celui de Meek (celui du titre anglais) joué par Bruce Greenwood. C'est vraiment à travers ce personnage que se distille un peu le message du film, c'est l'archétype du cowboy, le mec qui a toujours une histoire rocambolesque à raconter, qui sait tout, qui connaît tout le monde, mais qui là, dans notre histoire, se révèle totalement médiocre, inutile, voire causant la perte de nos personnages. J'ai beaucoup aimé cette remise en perspective du mythe du cowboy qui a tout fait, tout vu... ça n'empêche pas de faire n'importe quoi... et là encore, c'est traité avec beaucoup de calme, ce qui permet au film de ne jamais être lourdingue dans son propos.
Et donc au contraire on va avoir Michelle Williams qui va de plus en plus s'affirmer, prendre des décisions et devenir centrale, effaçant petit à petit le personnage éponyme,même si c'est trop tard... le mal est fait... Quelle belle façon de faire d'écrire un personnage et de faire passer son discours.
Puis, il faut forcément parler de cet indien, capturé, sommé d'aider le groupe à atteindre une source d'eau (c'est d'ailleurs le seul semblant d'intrigue du film : trouver de l'eau), on ne sait pas trop ce qu'il dit, ce qu'il fait, s'il mène les voyageurs au bon endroit et on arrive à ce final, antispectaculaire au possible, nihiliste et finalement absolument glaçant. Je suis certain que beaucoup chercheront à interpréter la fin, je m'efforce de ne pas être de ceux-là, mais en tous cas une chose est sûre, c'est qu'elle est inattendue et assez sidérante... Ce qui en fait peut-être l'un des westerns les plus réalistes qu'il m'ait été donné de voir.
En tous cas, c'est à voir... C'est unique en son genre.