Bien qu'elle occupe un espace "mental" omniprésent, la guerre en images n'est pas présente dans le film. Elle conditionne tout le déroulement de la narration mais ne pénètre quasiment jamais l'écran. Le réalisateur nous en explique la raison : "Elle est comme un vent qui souffle de temps en temps : au gré des mouvements, elle contamine le cours du récit. (...) Cette guerre est comme un fantôme qui se manifeste de temps à autre." Outre cette raison idéologique, le réalisateur confie également que les scènes de guerre auraient été très complexes à tourner pour des raisons de budget et de sécurité.
Outre la guerre civile qui gangrène le pays depuis plusieurs années sans qu'aucune issue ne se dégage, la motivation de Mahamat Saleh Haroun était de dénoncer un autre mal qui empoisonne le Tchad : la mondialisation. Dans un pays si fragile et sans repères, les dérives conséquentes à cet afflux non maitrisable d'argent pervertissent toute une société. "C’est d’autant plus violent qu’au Tchad le droit du travail est souvent foulé aux pieds : il n’y a donc rien à faire.(...) Outre la guerre et sa menace, c'est cette violence faite aux hommes qui cerne peu à peu Adam : il fallait montrer comment celui-ci perd totalement pied et comment un homme, poussé à bout et dépouillé, peut être amené à commettre l’impardonnable (...)."
Attaché à réfléchir son cinéma comme une conscience métaphorique ancrée dans le réel, Mahamat Saleh Haroun oriente le travail avec ses acteurs vers un cadre d'expression au plus proche du quotidien. "Il arrive souvent que je donne à un acteur son dialogue uniquement, sans qu’il sache ce que va lui répondre son partenaire. Du coup, cela crée un effet de surprise saisissant que j’aime bien." Plusieurs scènes évoquent cette empreinte personnelle de direction : "Par exemple, lorsque la mère envoie balader la voisine, cette dernière n’était pas au courant et a été bouleversée ! J’en ai profité pour capter sa stupeur." En approchant au plus près de la frontière du documentaire, le réalisateur exprime au mieux son message. Une autre valeur définit pourtant sa direction; "le plus important, c’est de donner de la confiance, de l’affection, de l’amour même aux acteurs pour en recevoir en échange."
Parmi la galaxie de personnages que côtoie Adam au sein de l'hôtel, il y a notamment le cuisinier, cible dans une scène, de la tendresse extrême que lui porte Mahamat Saleh Haroun, fasciné par cette fonction empreinte de symboles."J'ai eu envie de rendre hommage à l'acte de cuisiner. Pour moi, la générosité ne peut pas mieux s'exprimer qu'à travers la cuisine : on cherche à donner le meilleur de soi en voulant nourrir l'autre." Il n'y a alors qu'un pas vers l'empathie cristallisée autour de David, le cuisinier de l'hôtel : "C'est la philosophie qu'il partage (...) et il ne comprend pas ce qui lui arrive car il se considère comme pourvoyeur d'amour". Dans un univers où la violence et la peur dominent, les valeurs référentes s'inversent et un cuisinier qui parle avec passion de son métier comme une histoire d'amour ne peut qu'être déboussolé."Tout comme Adam, il se sent perdu et décalé dans un monde qu'il ne reconnaît plus". Deux symboles d'une population touchée par un traumatisme profond.
Les questions métaphysiques ont toujours été au centre de la réflexion du réalisateur tchadien, lui qui considère les religions "à la source de tout". Son cinéma appuie une mise en forme expressement concrète des textes sacrés, et fait ainsi se répondre mythologie et réalité. C'est par la référence à Abraham et le sacrifice du fils sauvé in extremis par Dieu, figure dans la religion musulmane, qu'il applique son précepte à la réalité. Dans la retranscription à l'écran de Mahamat Saleh Haroun, le personnage d'Adam ne croit pas, ou plus, à l'intervention divine. Et la métaphore n'est pas loin : " en Afrique, de manière métaphorique, ceux que l’on considère comme des « pères » – les dirigeants politiques – n’hésitent pas à sacrifier leurs « enfants » – autrement dit, leur peuple."
Peu avare de musique dans ses choix artististiques, le réalisateur a fait confiance à un ami Wasis Diop, pour faire de cette composition un fidèle miroir de ce qu'il attendait. Familier de l'univers épuré du réalisateur, le musicien savait la minutie avec laquelle ses partitions seraient utilisées, dans le but d'"éviter une musique illustrative". L'objet musical devait ainsi révéler "l'état d'âme des personnages, leur désordre intérieur", explique l'auteur.
Le réalisateur est lui-même un rescapé de la guerre civile au Tchad. En 1980, il a été grièvement blessé et a dû quitter son pays sur une brouette pour rejoindre le Cameroun voisin.
Un homme qui crie est le quatrième long métrage de Mahamat Saleh Haroun. En 1999, son premier film, Bye bye Africa, est sélectionné à la Mostra de Venise et obtient le prix du Meilleur Premier Film.
Suivent ensuite Abouna (notre père) (Quinzaine des réalisateurs 2002), et Daratt (Prix spécial du jury, Venise 2006).
Le film a été en compétition officielle en 2010 au Festival de Cannes et y a remporté le Prix du Jury.