Elephant Man est le seul film pour lequel David Lynch a travaillé dans un paysage et un contexte historique avec lesquels il n'a aucun lien personnel. Les villes du Nord-Ouest et les boulevards de Hollywood sont les lieux familiers du réalisateur. Il surmonte ce handicap en transposant tout simplement sa propre expérience et ses préoccupations à la matière fictionnelle. D'abord, en reliant les cheminées et la grisaille industrielle de Londres à ses années passées dans l'une des pires villes de l'Amérique, Philadelphie. Puis, par des méthodes plus abstraites de méditation : "J'ai toujours aimé les cheminées d'usines, et j'aime les villes qui se sont développées autour de ces industries. Voici donc l'Angleterre victorienne, et je ne connais pas ce pays, mais je reconnais les usines, je sais que ce n'est que le début de la révolution industrielle, de sorte que cela a fait écho en moi. Puis, un jour, je me suis rendu à l'East London Hospital. Un hôpital abandonné, mais qui avait encore des lits dans les salles. Des milliers de pigeons, des fenêtres brisées, mais de longs et glorieux couloirs, des foyers de cheminées, tous les détails y étaient. Je suis là dans le couloir scrutant une salle et un souffle m'a pénétré, j'étais projeté dans le temps. Je le sentais".
Second film de David Lynch, Elephant man, explore un univers totalement différent de son premier film, Eraserhead. Le cinéaste se retrouve ici en pleine Angleterre victorienne de la fin du XIX ème siècle. Le projet d'Elephant man lui est venu de l'admiration que lui porte Stuart Cornfeld. Le producteur découvre Eraserhead à sa sortie. Le film est pour lui la révélation d'un très grand talent. Il appelle David Lynch chez lui et demande à le rencontrer. Les deux hommes discutent et tentent de lancer le second projet du réalisateur, Ronnie Rocket qui n'aboutit pas. David Lynch lui demande alors de se voir proposer des scénarios existants. Stuart Cornfeld arrive un jour avec quatre projets parmi lesquels Elephant man. A l'énoncé du titre du film, David Lynch est convaincu que c'est celui-là qui l'intéresse. Les deux hommes font lire le scénario à la comédienne Anne Bancroft qui l'aime beaucoup et qui tiendra finalement un rôle dans le film. Elle le donne à son mari Mel Brooks qui accepte de le produire. N'ayant jamais entendu parler de David Lynch, il hésite sur le nom du réalisateur à engager et envisage un moment Alan Parker. L'enthousiasme de Cornfeld et une projection d'Eraserhead suffiront à le faire changer d'avis. David Lynch sera le réalisateur d'Elephant man.
David Lynch confie ce qui l'intéressait dans l'histoire d'Elephant man : "Ce qui m'a permis de m'impliquer dans le projet, c'est d'abord John Merrick, le personnage de l'homme éléphant. Il était si étrange, merveilleux et innocent. Tout était là. Ce qui m'intéressait aussi c'est la révolution industrielle. Toutes les images d'explosions me rappelaient les croissances de peau sur le corps de Merrick. Ce sont comme des petites explosions qui sortent de ses os. Je ne sais même pas d'où cela venait exactement. Même ses os finissaient par exploser, changer de textures puis tout sortait de la peau comme une lente éruption. L'idée de ces cheminés, de la suie et des industries si proches de la chair du personnage m'attirait beaucoup. Les êtres humains sont un peu comme des usines. Leur corps produit tant de petites choses."
Elephant man s'inscrit dans la lignée des films de monstres apparus à la fin des années vingt et au début des années trente qui questionnaient déjà la "monstruosité" des humains par constraste avec celui de leur personnage principal. C'est notamment le cas de Freaks, la monstrueuse parade de Tod Browning dont l'univers a clairement influencé l'oeuvre de David Lynch.
Pour écrire leur scénario, Eric Bergen et Christopher De Vore se sont inspirés de deux romans : The Elephant man and Other Reminiscences, les mémoires de Sir Frederick Treves, et "The Elephant man : a study in human dignity" d'Ashley Montagu.
Une fois qu'il était acquis que David Lynch réaliserait le film, il a tenu à modifier le script. Il a éloigné le scénario du fait divers original et a notamment changé le début et la fin.
Au tout début du tournage, Anthony Hopkins et le reste de la distribution ne voyaient pas David Lynch d'un bon oeil. Labyrinth Man venait juste de sortir en Angleterre, et certains d'entre eux avaient vu le film. Ils avaient beaucoup de difficultés à faire le lien avec la production du film en cours. Mais à la fin du tournage, ils furent parmi les plus ardents défenseurs du cinéaste. A commencer par la grande actrice Wendy Hiller, qui incarne le visage de la mère de John Merrick. "Je l'ai vue dans Amants et fils, et je l'ai adorée" se souvient Lynch. "Et quand je la rencontre, je suis sûr que je vais l'aimer. elle vient vers moi et se jette à mon cou. Comme elle est beaucoup plus petite que moi, c'est bien sûr pendue à mon cou qu'elle me traîne tout autour de la salle. Et elle me dit : "je ne vous connais pas, je vais vous surveiller". Mais elle s'est avérée faire partie de ceux qui m'ont soutenu au-delà de l'au-delà".
Mel Brooks est le producteur exécutif d'Elephant man. Le réalisateur spécialiste des comédies finance ici le premier film de sa société Brooksfilms Ltd.. Conquis par l'histoire de John Merrick, il défend le projet à la Paramount et notamment la présence de David Lynch au poste de réalisateur et le choix du noir et blanc. Il s'interpose à toute idée de coupes alors que les studios ne sont pas rassurés devant l'aspect onirique du film. Son nom n'apparaît pas au générique car il craignait que le film soit rattaché dans l'esprit du public aux comédies parodiques qu'il réalisait.
Freddie Francis est un des plus grands chefs opérateurs du cinéma. Il fait ses débuts en temps que réalisateur au début des années soixante mettant souvent en scène le couple Peter Cushing-Christopher Lee comme dans La Chair du diable.
En tant que directeur de la photographie, il a participé à plusieurs oeuvres importantes parmi lesquels Samedi soir et dimanche matin et La Maitresse du lieutenant francais de Karel Reisz, Les Innocents de Jack Clayton et Glory d' Edward Zwick.
Il collabore à nouveau avec David Lynch sur Dune et Une histoire vraie.
Le slogan du film tel qu'il apparaissait sur l'affiche originale était : "I am not an animal ! I am a human being ! I... am... a man ! " (" Je ne suis pas une bête ! Je suis un être humain ! Je... suis... un homme ! ")
Si c'est Christopher Tucker qui a crée le maquillage de John Merrick tel qu'il apparaît dans le film, David Lynch avait d'abord travaillé sur un premier essai dans son garage pendant des mois avant de se rendre compte que sa création ne fonctionnait pas sur John Hurt. Le cinéaste qui avait dû tout faire tout seul sur son premier long métrage apprenait ici avec angoisse la division des tâches des films de studio. Son erreur obligea l'équipe à revoir tout le calendrier du tournage. Très angoissé par toute cette expérience, David Lynch craint d'être renvoyé au point de ne plus pouvoir en dormir la nuit. Mel Brooks réitéra sa confiance au cinéaste qui tourna le film.
Lorsque le véritable John Merrick meurt, des parties de son corps sont alors préservées pour des recherches scientifiques. Certains de ses organes sont mis dans des bocaux et des moules en plâtres sont réalisés sur sa tête, un bras et un pied. Pendant les raids aériens allemands, les organes sont détruits. Les plâtres, eux, sont miraculeusement épargnés et transférés à l'Hôpital de Londres. Le maquillage de John Hurt a été directement élaboré à partir de ces derniers.
Le film soigne les apparitions de son personnage principal, "the elephant man". Le spectateur doit s'habituer à sa présence avant de voir son vrai visage. La laideur de son corps nous est d'abord suggérée par les réactions de ses interlocuteurs. Ainsi, une larme se dessine sur le visage du docteur Treves quand il aperçoit Merrick pour la première fois à travers le brouillard. Il apparaît pour la première fois avec l'infirmière Nora qui a une réaction normale face à lui comme celle que doit avoir le public. Mel Brooks aurait insisté auprès de David Lynch de garder le suspense le plus longtemps possible.
La maladie dont souffrait Merrick n'a pu être diagnostiquée de son vivant. Plus tard, des études de son squelettes ont laissé penser qu'il était atteint de neurofibromatose, une maladie affectant les os et la peau. Depuis, d'autres chercheurs ont annoncé qu'il souffrait en fait du Syndrome Proteus, une maladie encore plus rare que le précédente. Aucun des deux diagnostics n'a pu être vérifié scientifiquement.
David Lynch souhaitait à tout prix utiliser un adagio (morceau de musique classique joué avec un tempo lent) à la fin du film. Il intégra donc le morceau de musique dans le premier montage qu'il montra à ses producteurs et à son équipe. Mel Brooks trouva qu'il fonctionnait bien ainsi et décida de le conserver dans le montage final.
L'ingénieur du son Alan Splet est le seul rescapé d'Eraserhead, le premier film de David Lynch. Le choix de conserver son technicien montre l'importance que donne le cinéaste à ce poste. David Lynch est en effet un des réalisteurs qui travaille le plus la bande son de ses films. Alan Splet collabore avec lui jusqu'à Blue velvet.
Le nom du véritable "Elephant Man" – qui vécu au XIXème siècle - est Joseph Merrick, et non John. Lorsque Sir Frederick Treves écrit ses mémoires, on le retrouve également sous ce nom d'emprunt. Cependant, son manuscrit révèle que le docteur savait que le prénom de Merrick était bel et bien Joseph, puisqu'il y est rayé et remplacé. De plus, le reste de la correspondance de Merrick montre bien qu'il signe sous le prénom de Jospeh.
Si le film essaie d'être le plus fidèle possible à la vie du vrai John Merrick, certaines modifications ont dues être apportées pour que le récit progresse de manière plus efficace. Ainsi, le personnage acquiert la parole après quelques efforts alors qu'en réalité cette avancée a demandé de nombreuses opérations.
Avant que David Lynch n'aborde le sujet, David Bowie jouait sur scène à Broadway le rôle de John Merrick sans aucun maquillage. Deux années après celui du cinéaste de Blue velvet, un autre Elephant Man est tourné pour la télévision par Jack Hofsiss d'après une pièce de Bernard Pomerance. Philip Anglim y reprend le rôle de John Merrick tandis que Kevin Conway incarne le docteur Treves.
Elephant man reçoit huit nominations aux Oscars sans remporter aucune statuette. Les catégories dans lesquelles le film s'est distingué sont les décors, la musique, les costumes, le montage, le scénario, la mise en scène, le meilleur interprète masculin pour John Hurt ainsi que meilleur film. Robert Redford est le grand gagnant de la soirée. Le lendemain de la cérémonie, Mel Brooks aurait déclaré : "Dans dix ans Des gens comme les autres ne sera plus qu'une simple question de quizz, Elephant man au contraire sera un film que les gens regarderont encore."
Mis à part les Oscars, Elephant man reçoit plusieurs prix. Le film est nommé quatre fois aux Golden globes dans les catégories meilleur réalisateur, meilleur drame, meilleur scénario et meilleur acteur masculin pour John Hurt. En Angleterre, le comédien est récompensé durant la cérémonie équivalente des Oscars. Le film et les décors sont également primés. Le directeur de la photographie Freddie Francis, David Lynch, la monteuse Anne V. Coates ainsi que les scénaristes échouent au niveau des nominations.
En France, Elephant man reçoit le grand prix du Festival du film fantastique d'Avoriaz ainsi que le César du meilleur film étranger.
Mel Brooks essaiera bien de proposer d'autres projets à David Lynch après Elephant man mais le cinéaste ne se sentit attiré par aucun d'eux. Le film fut donc une collaboration unique entre les deux hommes.
En plus des nombreuses récompenses que reçoit le film, Elephant man est un important succès populaire. Tourné avec un budget de 5 millions de dollars, il en remporte 5 fois plus rien que sur le territoire américain. En France, Elephant man réunit 2 443 000 spectateurs au moment de sa sortie.
C'est en voyant Elephant man que le producteur Dino De Laurentiis a eu l'idée d'employer David Lynch sur Dune, le troisième long métrage du cinéaste.