La réalisatrice a décidé, avec Acqua in bocca, de partir en Corse pour briser le silence de sa mère au sujet de la mort mystérieuse de son grand-père : "Je suis partie à la recherche de cette âme errante. Comment est-il mort, pourquoi ? Quelle est la raison de cette malédiction ? Est-il condamnable ? Le renommer pour qu’il repose enfin en paix, transmettre à mes filles, autre chose qu’un silence, aller au devant de cette "mater dolorosa" et renouer avec une île ancestrale ont été les enjeux de mon film."
Le titre du documentaire signifie littéralement "de l'eau dans la bouche". Cette expression, typiquement corse (plus précisément originaire de la région de Niolu), est une invitation au silence. En effet, la bouche remplie d'eau, on est incapable de parler et par conséquent de dévoiler un secret. A l'origine de cette expression, il y a une légende selon laquelle une femme, incapable de garder un secret, cherche conseil auprès de son confesseur. Celui-ci lui donne alors un flacon d'eau bénite, dont la femme doit se verser quelques gouttes dans la bouche dès qu'elle se sent sur le point de faillir. Par ailleurs, "Acqua in bocca" n'est qu'une partie de l'expression "Acqua in bocca e fichi maturi" (eau dans la bouche et figues mûres). La suite de la citation est une invitation à parler au moment opportun.
Pascale Thirode a eu l'idée d'Acqua in bocca en 2003 après un séjour en Corse, île dont était originaire son grand-père. Le refus de sa mère d'évoquer ce voyage et ce retour aux sources a poussé la réalisatrice à prendre des notes et à rassembler des documents, bien qu'elle n'envisageait pas encore de réaliser un film : "ça me paraissait trop intime. C’était une douleur et je n’avais pas forcément envie de la partager, j’avais besoin de la cerner, de la comprendre. Puis, le mur de douleur que ma mère m’opposait a fait, qu’à un moment, je suis passée outre."
Le lien mère-fille est l'une des thématiques principales du documentaire de Pascale Thirode. Trois générations de femmes nous sont ainsi présentées dans le film, la réalisatrice et protagoniste principale, ses deux filles et sa mère : "Je ne veux pas être dans la reproduction de quelque chose qui consiste à fermer, à bloquer (…). L’enjeu de ce film, c’est précisément la difficulté que ma mère a eu pour me transmettre son histoire.. Et là je passe la caméra à ma fille quand je me retrouve dans les bras de ma mère. Ce plan a du sens pour moi, pour le film, c’est l’idée de la transmission."
Bien qu'étant un documentaire, Acqua in bocca lorgne parfois du côté de la fiction en raison de sa structure, proche d'un film policier : "Dans un jeu de piste, on a des indices : un papier à entête des années 40, des versions qui ne collent pas et un album photo vidé de son contenu mais dont il reste les légendes. Plus j’avançais dans ma recherche, plus le romanesque et le réel se mélangeaient intimement. J’ai commencé à penser que l’histoire de cette famille racontait une époque et j’ai imaginé ce film."
Pascale Thirode, à la fois réalisatrice et protagoniste de son documentaire, a été confrontée à la difficulté de se filmer tout en évitant de tomber dans le voyeurisme : "Il fallait à la fois travailler tout ce qui était très personnel et qui faisait que tout le monde peut être touché, mais que dans le très personnel, il n’y ait pas d’impudeur. Que le très personnel ne soit à aucun moment voyeur, que le spectateur, à aucun moment n’ait le sentiment de se retrouver dans cette posture-là."
L'une des idées directrices de Pascale Thirode était la circulation, que ce soit dans la parole -en opposition au secret de sa famille et au silence de sa mère-, dans la traversée de la Corse ou des années 40, époque dans laquelle a vécu son grand-père: "Je voulais que ça circule. Que ce soit symbolisé par plein d’autres choses, par ce mouvement qu’on avait nous, vers les autres, par ces nouveaux visages, par cette ouverture à une nouvelle famille…Cette maison qu’on trouve…C’est du partage tout d’un coup."
Dans Acqua in bocca, Pascale Thirode parcourt l'île en compagnie de ses filles au volant d'une voiture, qui n'est pas qu'un moyen de locomotion : "Pour moi c’était important que cette voiture se déplace parce que je n’ai pas de lieu, là bas. La voiture symbolisait un petit refuge qu’on avait toutes les trois. De derrière les vitres on voit l’île : je voulais qu’il y ait l’idée d’un filtre entre cette île et nous, tout ce non-dit… Je voulais que ce soit de l’intérieur de cette voiture qu’on ressente l’île, qu’elle soit aussi notre protection, comme une bulle."
Pascale Thirode multiplie les points de vue car "à chaque individu va correspondre une version". Elle laisse ainsi la parole à de nombreuses personnes, que ce soit des membres de sa famille (ses cousins, sa mère), des habitants de l'île, des personnalités politiques (Marie Jean Vinciguerra) ou érudits (l'historienne Hélène Chaubin).
Acqua in bocca a été présenté dans de nombreux festivals, dont le Festival International du Cinéma Documentaire Cinéma du réel 2010, le Festival Itinérances d'Alès, le Festival International du Film Méditerranéen de Tétouan, le Festival International du Film Documentaire Vision du Réel de Nyon et le Festival International du Cinéma méditerranéen (Cinemed) qui lui a décerné le Prix Ulysse du meilleur documentaire en 2009.