Le réalisateur Jacek Borcuch a voulu parler avec ce film de l'adolescence "ces quelques années flottantes pendant lesquelles on n’est plus un enfant, mais on n’a pas encore franchi le seuil de l’âge adulte. Une période pendant laquelle se jouent beaucoup de premières fois : première gorgée de vin, première déception intense, première révolte, premier grand amour… Une époque remplie d’espoirs et de rêves". Sujet souvent traité au cinéma - une nostalgie des cinéastes sans doute - le propos prend une résonance particulière dans le film par rapport à "la grande Histoire" de la Pologne qui se déroule en arrière-plan. Pourtant le combat des jeunes gens du film est un mouvement universel: "Ce monde idéal de la jeunesse va se heurter violemment à celui des adultes, dont Janek va découvrir qu’il ne présente pas d’échappatoire. Il va devoir l’affronter et apprendre à se battre pour ceux qu’il aime et pour son avenir"
Marc Guidoni qui distribue All That I Love en France nous en parle : "Ce film m’a profondément touché par les résonances qu’il avait dans ma propre histoire personnelle. Né en 1967, je fais partie d’une génération qui a été adolescente pendant que la Pologne de Solidarnosc s’éveillait. (...) Trente ans ont passé, mais les souvenirs de ces premiers émois militants sont intacts.De même que les souvenirs de la musique punk de ces années-là et qui, sans que nous le sachions, traversait le rideau de fer. Musique devenue emblématique et que les jeunes générations redécouvrent aujourd’hui…"
Sachant que le film se passe en 1981, pendant la violente répression des mouvements naissant de l'action du syndicat Solidarnosc, on peut s'étonner de voir assez peu de références au contexte politique de l'époque. Le réalisateur s'explique en faisant un parallèle familial : "Vous savez, pendant la seconde guerre mondiale, ma grand-mère a été envoyée en travaux forcés en Allemagne. Elle y a travaillé pendant 5 ans, a gagné un peu d’argent qu’elle envoyait chez elle. Mais ce n’était finalement pas le plus important pour elle. Le plus important, c’est qu’elle y a rencontré mon grand-père, qu’ils ont été follement amoureux et qu’ils ont eu leur premier enfant. (...) elle m’a dit que malgré toutes ces difficultés, c’était de loin la plus belle période de sa vie (...) parce qu’elle était jeune à cette époque…"
Voir Jacek Borcuch faire un film sur un groupe de musique n'a rien d'étonnant. En effet, le réalisateur polonais a partagé sa vie entre le cinéma et la musique qu'il a étudiés (jouant du piano classique tout en étant un fin connaisseur des créations plus contemporaines). Il en parle d'ailleurs avec enthousiasme: "Dans l’histoire du punk rock polonais, les gens se rappellent de nombreux groupes différents (...) Pour moi, c’est le groupe Wyidealizowana Ciemnosc, en abrégé "WC", qui a été fondamental. Alors, mes producteurs ont fait l’acquisition des droits des morceaux du groupe. Mes acteurs ont répété pendant de longues semaines, et ils ont fini par tout jouer en live, sans aucun playback." Par ailleurs, Borcuch a aussi étudié la philosophie dont est empreint le film.
All That I Love est en grande partie autobiographique. Jacek Borcuch avoue s'être énormément inspiré de ses propres souvenirs pour écrire le film :"J’ai fait ce long voyage dans ma mémoire pour y retrouver des conversations, des situations, des émotions… C’est à l’opposé de mon film précédent, Tulips, dans lequel j’essayais d’imaginer le passé comme j’aurais souhaité qu’il soit. Ici, je voulais que tout soit à 100 % vrai."
Jacek Borcuch parle avec émotion de ses souvenirs de l'époque qu'il traite dans le film : "C’est à l’époque du film que j’ai grandi, et la loi martiale a tout naturellement fait partie de ma vie. Mais en réalité, c’était une époque incroyable : je me souviens des écoles fermées, de cette atmosphère révolutionnaire, de ce sentiment partagé que nous avions un ennemi commun et que si nous nous levions tous ensemble pour nous battre, nous pouvions gagner toutes les batailles."
On connait en France le cinéma polonais des années 1970-1980, celui de cinéastes engagés, au regard proche du documentaire (Kieslowski et Wajda en tête). On connait moins le cinéma des années 1990 qui est moins glorieux. La Pologne, prise dans les engrenages économiques de la chute du système soviétique et dans la perte des repères d'une génération, n'a vu ses cinéastes lui offrir que des films légers et peu politiques pendant une décennie. Une tendance qui est en train de s'achever. All That I love participe à un mouvement dans le cinéma polonais de retour à un contexte social fort, à une volonté des réalisateurs de véritablement ancrer leurs films dans l'histoire du pays. Et ce mouvement trouve son public. Ainsi déjà, en 2010, "Tribulations d'une amoureuse sous Staline" de Borys Lankosz a drainé le premier week-end de sa sortie 66 000 spectateurs - un record pour la Pologne - et a raflé les Lions d’or du film polonais de Gdynia. D'autres films sont symptomatiques de ce dynamisme du cinéma polonais comme La Maison du mal de Wojciech Smarzowski, sorti en 2010, polar se déroulant dans la campagne polonaise sous le régime communiste ou comme Les petits cochons de Robert Glinski, l’histoire de jeunes garçons qui se prostituent à la frontière germano-polonaise.
L'essor d'un nouveau cinéma polonais n'est pas qu'un mouvement spontané dû aux ambitions nouvelles d'une génération. Il est aussi favorisé par la création du Polish Film Institute (équivalent polonais de notre CNC) en 2005 financé par un nouvel impôt sur les télévisions privées. Ainsi, les films d’auteurs ont pu trouvé leur source de financement, ce qui a eu un impact rapide sur la production : en 2005, on ne produisait en Pologne qu’une dizaine de films par an, on en est à 50 aujourd’hui. Le public a suivi et a plébiscité les productions nationales : 400 000 spectateurs il y a cinq ans contre 9 millions en 2010. Seule, l’école de film de Lodz (dans laquelle a pu étudier Krzysztof Kieslowski dans les années 1960) ne jouait plus son rôle de pépinière de talents et de moteur pour la cinématographie. Mais la création de deux écoles de cinéma fait bouger les choses: une sous la houlette du réalisateur Andrzej Wajda en 2001 et l’autre par l’acteur Boguslaw Linda (l'acteur du Hasard) en 2004. Si les méthodes de distribution et l’ouverture sur le marché européen pêchent encore, ces changements ont montré qu'une vraie pariticipation de l'Etat et l'implication du milieu pouvait créer un mouvement bénéfique au cinéma en général, ce qu'on a pu observer pendant les années 2000 avec le cinéma coréen qui a vécu un âge d'or grâce aux quotas et aux aides décidées par l'Etat qui s'est écroulé dès la fin des lois en vigueur.
Vue de loin, la Pologne est un pays gris, triste et sans couleurs. Et c'est un peu ce que furent les années 80 là-bas, des années de marasme économique et de morosité. Ce fut pourtant une époque de changement, symbolisée par la création de Solidarnosc (à l'initiative du futur nobelisé Lech Walesa), premier syndicat libre dans un pays soviétique et qui, malgré les répressions, joua un rôle crucial dans la chute du régime communiste.
Cette période fut constituée de grands espoirs et de désillusions encore plus grandes, la parenthèse enchantée, "carnaval" d'une année provoqué par la création de Solidarnosc le 31 août 1980 étant suivie par des années sombres marquées par des hoquets sanglants d’un régime totalitaire lui aussi moribond pour aboutir aux grandes grèves de 1988, la "Table ronde" et les premières élections semi-libres le 4 juin 1989 qui ont marqué la victoire incontestée du Syndicat.
C'est dans la petite ville de Jarocin, 25 000 habitants, située à mi-distance entre Varsovie et Berlin que s'installe, en août 1980, un grand festival de punk-rock créé par deux polonais, Jacek Sylwin et Walter Chelstowski. L'évènement devient tout de suite le plus grand festival indépendant de tout le bloc soviétique, attirant 20 000 personnes dès sa première édition. Victimes d'une grave crise de denrées alimentaires, les protagonistes arrivaient avec pour les quelques jours une simple miche de pain et une bouteille de lait. De façon concomitante aux grandes grèves des chantiers navals de Gdansk (qui vont conduire à la création de Solidarnosc), on entend des jeunes hurler leur colère "Je suis fatigué, j'en ai assez" clame le groupe "La Crise". Les autorités dépassées et ne censurent pas ce qui ailleurs ne serait pas possible. Les apparatchiks du parti, sollicités ailleurs, ne comprennent pas le mouvement et le sous-estiment, préférant voir les jeunes dans un concert que dans la rue, même si la police secrète est aux aguets, pour compter les adeptes et tenter de comprendre le mouvement. Poussés par le slogan "no future" plein de sens pour cette génération perdue, le punk-rock connait un véritable essor. De nombreux groupes se forment. Et les textes se font de plus en plus actuels, de plus en plus résistants. Quand le général Jaruzelski instaure la loi martiale le 13 décembre 1981, en réaction à la libéralisation favorisée par Solidarnosc, le groupe "Brygada Kryzys" (Brigade Crise) fait fureur avec son morceau "La guerre". Et étrangement, malgré leur influence, les musiciens ont pourtant rarement été mis en prison. Mais elle limite la fabrication de vinyles, elle interdit la formation de groupe ou la diffusion de leurs chansons à la radio. Mais le mouvement perdure car comme l'exprime un des musiciens de l'époque: "Nous étions la voix d’une génération. Nous avons tenté non pas de nous opposer au système mais de vivre complètement en dehors de lui. Et je crois que nous avons réussi…"
Le réalisateur Jacek Borcuch est aussi acteur. On a pu le voir ainsi aux côtés de Nikita Mikhalkov, un autre réalisateur dans Persona non grata de son compatriote Krzysztof Zanussi (qui est lui-même apparu comme acteur dans son propre rôle dans le film de Krzysztof Kieslowski L' Amateur). Il avait aussi joué un rôle en 1999 dans son premier film Kallafiorr.
Premier à sortir en France, All That I Love est pourtant le troisième long-métrage du réalisateur après Kallafiorr en 1999 et Tulips en 2004.
All That I Love a fait le tour des festivals depuis le Festival de Gdynia, en Pologne (où il reçu les prix de la direction artistique, du public et des distributeurs) jusqu'aux plus connus festivals de Pusan, Sundance et Rotterdam (où il a été repéré par Marc Guidoni qui décide alors de le distribuer en France). Par ailleurs, il avait été sélectionné par la Pologne pour représenter le pays aux Oscars 2011 mais n'a pas fait partie des films sélectionnés au dernier tour. En France, les cinéphiles nomades ont pu le voir aux festivals d'Arras, de Pau ou des Arcs.