Les Yeux de Julia est le second long-métrage de Guillem Morales . Lui qui se destinait à l'histoire de l'art quitte l'université pour se consacrer au cinéma. Il réalise son premier court-métrage en 1999, Back room, qui recueille une trentaine de récompenses à travers le monde. Suivent Upside down en 2002, et son premier long-métrage El habitante incierto en 2004 ce qui lui vaut d'être nominé dans la catégorie du Meilleur Jeune réalisateur aux Goyas.
Les Yeux de Julia s'est d'abord intitulé "Julia's Eyes" et devait être tourné en anglais. Le producteur Joaquín Padro explique : "Guillem et moi nous étions donné pour défi de développer son deuxième film en anglais, dans un souci d'évolution personnelle et professionnelle. Avec les contacts que nous avions développés en Angleterre grâce au remake de son premier film El habitante incierto, il semblait naturel et logique que, pour son deuxième projet, nous commencions à chercher des financements là-bas. Mais que le film soit en anglais ou en espagnol, ce qui comptait avant tout pour nous, c'était d'avoir assez d'argent pour le mener à bien.". La rencontre entre les producteurs, le réalisateur et Guillermo del Toro à Londres a donné au projet un nouvel élan. Guillermo s'est impliqué de plus en plus et Universal Pictures y a vu une excellente opportunité de mettre en œuvre sa première production espagnole. par ailleurs l'actrice Belén Rueda a lu le scénario et son enthousiasme a été le facteur déterminant pour que la production se fasse localement. Luis San Narciso, directeur de casting, et son équipe ont travaillé trois mois durant pour réunir le reste du casting. Le projet a donc été lancé.
Réalisateur et producteur du Labyrinthe de Pan, producteur de L' Orphelinat, il soutient en 2010 quatre projets de taille: Rabia de Sebastián Cordero, Rudo et Cursi de Carlos Cuaron, Biutiful d'Inárritu et enfin Les yeux de Julia de Guillem Morales. Cet "amoureux des monstres", il le dit lui-même, poursuit dans la veine fantastique avec ce film espagnol.
Avec un budget de 5 millions d'Euros, le tournage a duré 10 semaines, dont 7 sur deux plateaux simultanés, aux studios de Terrassa.
Pour la seconde fois l'actrice Belén Rueda et le producteur (également acteur et réalisateur) Guillermo del Toro se retrouvent sur le tournage d'un film fantastique. Leur première collaboration date de 2007 pour L' Orphelinat.
La comédienne Belén Rueda, l'héroïne stupéfiante de L' Orphelinat (2007), porte véritablement le film de Guillem Morales. Elle apparaît dans presque toutes les scènes du film et a dû énormément travaillé ses expressions puisque ses yeux constituent l'élément fondamental du film. Elle décrit son personnage comme "une héroïne émotionnelle". Le réalisateur, quant à lui, est très éloquent au sujet de son interprète et évoque son regard très particulier : "La première fois que j'ai rencontré Belén, j'ai tout de suite compris qu'elle brillait de cette lumière si particulière que seules les stars de cinéma irradient, une lumière qui vous fait tomber amoureux d'elles. Quand elle a levé les yeux du scénario après la première lecture, j'ai su que c'étaient ceux de Julia."
Le film décrit le cheminement de l'héroïne vers la cécité, un glissement lent et périlleux vers les ténèbres. Nombre de films ont pu inspirer Guillem Morales: citons, entre autres, Seule dans la nuit de Terence Young, (1967) dans lequel des tueurs pourchassent une jeune femme aveugle (interprétée par Audrey Hepburn), qui s'est retrouvée par hasard en possession d'une poupée contenant de l'héroïne, Terreur aveugle de Richard Fleischer (1971) qui met en scène Mia Farrow, personnage aveugle poursuivie par un tueur après avoir été témoin d'un meurtre. Suivent, parmi les films se réclamant de la même esthétique, Les Yeux de Laura Mars (1978) qui met en scène une photographe (Faye Dunaway) qui subit, dans son sommeil, d'étranges visions dans lesquelles elle voit un homme assassiner ses proches puis Blink ou encore Jennifer 8.
Le réalisateur a raconté qu'une des scènes du film a presque tourné drame et que la fausse cécité de Belén Rueda a bien failli devenir réalité. Il rapporte: "À un moment dans le film, quelqu'un menace Julia en pointant un couteau en direction de ses yeux et en l'approchant très près de sa pupille. Il s'agit d'un très gros plan et, à cette distance, nous ne pouvions pas utiliser un faux. J'avais donc l'intention de recourir au trucage (...) Au moment de tourner, Belén et le comédien (...) proposèrent de le faire "pour de vrai". Quand nous avons dit 'moteur', le couteau est venu si près de l'œil de Belén que le sang de toute l'assemblée s'est glacé. À la fin de la prise, tout le monde était interdit, et horrifié. Tous, sauf les deux acteurs qui ont déboulé en souriant pour voir ce que ça avait donné. Quand ils ont vu le plan, ils sont devenus livides. Le résultat est superbe mais j'ai fait des cauchemars pendant une semaine en pensant à ce qui aurait pu arriver si Belén avait éternué à ce fichu moment."
Pour comprendre les différentes étapes de cécité dont Julia est victime, Belén Rueda s'est entretenue avec des conseillers de l'Organisation Nationale des Aveugles Espagnols (ONCE). Quatre paires de lunettes ont également été créées pour reproduire l'évolution progressive du handicap dont souffre son personnage, et la comédienne chaussait la paire correspondante avant chaque prise, afin d'être à tout moment consciente des carences visuelles de Julia et de pouvoir appréhender précisément sa relation au monde qui l'entoure.
La propriété dans laquelle vit l'héroïne a été trouvée dans la ville de Cantonigrós en Espagne. Le lieu a une histoire assez particulière: il fut utilisé au siècle dernier comme lieu d'hébergement pour les lépreux et a finalement été converti en un ensemble de maisons semi-individuelles. "Son style était parfaitement adapté à ce que nous recherchions", déclare Balter Gallart, le directeur artistique.
Sur dix semaines de tournage, sept se dont déroulées en studio. L'atmosphère dépendait beaucoup des décors. La recherche des lieux a donc été essentielle: outre la maison dans laquelle vit Julia, l’École Industrielle de Tarragona a été un autre décor important. Elle est faite d’une succession de bâtiments et d’espaces monumentaux, inspirés de l’esthétique franquiste des années 70, qui n’ont jamais été rénovés. Par ailleurs, l'immeuble recelait de tunnels fantastiques mais qui ont été des "cauchemars logistiques" pour l'équipe. Le réalisateur rapporte: "Le dernier couloir était si étroit qu’il était impossible de s’y croiser. Nous devions donc y pénétrer l’un après l’autre, en respectant un ordre scrupuleux, comme pour une partie de Tetris. Une seule erreur stratégique et il fallait recommencer à zéro.". En studio, Balter Gallart et son équipe ont créé plus d’une douzaine de décors différents, certains avec plafond, à mesure que la production avançait. Deux plateaux simultanés ont été nécessaires pour répondre aux besoins de construction et de tournage.
Le réalisateur utilise à sa guise la caméra subjective alors que Julia commence à perdre la vue. En cela il se plaît à décrire son film comme une expérience de tous les sens: "J'étais obsédé par l'idée d'aveugler, d'une certaine façon, le spectateur, afin qu'il puisse partager l'expérience sensorielle de Julia," explique Morales. "Et je pense que nous y sommes parvenus. Je pense pouvoir déclarer que, à certains moments du film, les spectateurs seront aveugles, cinématographiquement parlant.". La virtuosité du réalisateur alliée à celle de son directeur de la photographie, Oscar Faura, amènent à la création d'un pacte visuel conclu tacitement avec le public et dont ils ont infusé toute la mise en scène, dans le but de "rendre aveugle" le spectateur sans avoir à recourir au noir total.