Comme pour ses deux précédents documentaires (Secteur 545 en 2005 et Paysage imposé en 2006), le réalisateur Pierre Creton a choisi son Pays de Caux natal comme cadre de son nouvel opus. Alors que ses expériences antécédentes avaient pour objet l'étude de deux périodes distinctes de la vie de l'être humain, l'âge adulte et la jeunesse, c'est la "vieillesse" qui sert ici de canevas au projet, et permet ainsi de conclure sa trilogie des "trois âges". Creton raconte comment lui est venue l'idée de s'installer dans le centre de gérontologie, théâtre de l'action, au sein de Maniquerville : "Durant mes années au Contrôle Laitier, alors que ma route me conduit quatre fois par jour à passer devant le Centre (à dix kilomètres de chez moi) le désir de m’approcher me taraude. Paysage imposé est encore en tournage quand me vient l’idée d’un film à Maniquerville (...)."
Le Centre, construit en 1974, partage son parc avec un château du XIXe siècle aujourd'hui en ruine, suite à un incendie jamais réparé. Les arbres centenaires qui composent le parc semblent avoir imprégnés de leurs "âmes" l'ensemble des résidents du centre, personnel soignant et patients. Mais le château racheté et les normes trop vétustes obligent tout le monde à devoir emménager dans un nouvel endroit, même pas encore construit. Un déménagement vécu comme un déchirement, comme l'explique le réalisateur : "Le parc aux arbres exceptionnels qui était le prolongement naturel du Centre est devenu un chaos. Sous les yeux même des résidents qui doivent déjà lutter contre le naufrage de leur propre autonomie et préserver leur individualité, on orchestre la destruction du monde auquel ils ont appartenu (le château, les arbres, les chemins) pour recomposer un environnement illusoire consacré aux loisirs et au tourisme qui les exclut."
Une perte imprévue avec laquelle il a fallu composer: " J’ignorais avant d’envisager ce film que le Centre allait déménager (...)", ajoute Pierre Creton. "L’apprenant, il devenait nécessaire et urgent d’en retenir les images. Je ne cherche pas tant à montrer une société de plus en plus cynique mais plutôt une vision utopique où une population aurait le droit de vieillir en douceur dans le paysage familier où elle a toujours vécu. Maniquerville n’est pas un film sur la vieillesse mais sur la vie et la transmission qui passe par les résidents, Françoise, Clara et Proust."
La comédienne Francoise Lebrun s'est convertie en animatrice d'un genre nouveau en intervenant régulièrement au centre, pour des lectures hebdomadaires de divers textes de Proust. Même si elle devait initialement organiser ses interventions pour le besoin du film, elle s'est imprégnée de plus en plus de sa "mission" comme nous l'apprend le réalisateur : " Elle désirait voir le lieu, spontanément pendant la visite, elle me propose d’y venir faire des lectures. C’est le début d’un scénario, d’une fiction. Ses lectures ne sont pas motivées ici par les seuls besoins du film, elles sont une animation pour les résidents. Nous avons cherché ensemble quels textes captiveraient le plus nos auditeurs : des contes, des fables, des nouvelles, des récits ? J’avais repris quelques mois auparavant la lecture de La recherche du temps perdu. Un passage sur le souvenir des arbres me semblait approcher ce dont je voulais parler à propos du parc de Maniquerville et la suite en a découlé naturellement", raconte-t-il.
Maniquerville a été présenté au FID Marseille, à la Viennale et au Festival du Film de Turin 2009.